Dans un article de L’Obs du 10 novembre 2016 intitulé « Européens, engagez-vous », Guillaume Klossa a cette phrase terrible : « L’Europe est grangenée par une forme accélérée de délitement démocratique qui se traduit par une incapacité grandissante de ses dirigeants à se projeter et agir ensemble… Et pourtant, partout des initiatives de réappropriation de la démocratie se développent avec succès : le G1000 en Belgique et aux Pays-Bas, la convention constitutionnelle en Irlande, le Bleu Blanc Zèbre d’Alexandre Jardin ou les conventions civiques du Mouvement du 9 mai pour réinventer l’Europe… Ces projets délibératifs ne visent pas à se substituer à la démocratie parlementaire, mais à la compléter en associant les citoyens de manière continue à la vie publique ».
L’enjeu aujourd’hui est donc de mener un dialogue structurel, donc permanent entre la sphère politico-administrative et la société civile.
Si la prise de conscience de cet enjeu va en s’accélérant, il est intéressant de retracer l’évolution depuis les années 80.
La thématique à cette époque était la qualité de la relation avec le citoyen client : c’était la période des chartes politiques qui clarifiaient les éléments constitutifs d’une relation de qualité avec les utilisateurs du service public. On n’osait pas encore trop dire à cette époque les clients du service public, en tout cas du côté syndical…
La seconde étape s’est produite à partir des années quatre-vingt-dix dans le cadre des réunions menées avec la Commission européenne et les directeurs généraux de la fonction publique des pays européens : il s’agissait alors d’évoluer de la recherche de la satisfaction des clients au management de la relation avec le client.
Ce management de la relation avec le client entendait couvrir toutes les étapes du cycle de la gouvernance publique, cycle qui peut se résumer ainsi:
C’est à cette période que l’on commencé à parler du rôle des parties prenantes que sont les citoyens, les entreprises et les associations représentatives dans une optique de co-construction avec les citoyens-entreprises.
Des initiatives se sont alors développées pour impliquer les parties prenantes aux différents échelons de ce cycle. Je cite ici quelques exemples à titre d’illustration.
Elaborer
- Susciter la réaction des citoyens-entreprises sur un projet de règlementation, un livre blanc ou un projet de plan. Récemment, la consultation organisée par le SPF Santé concernant l’essai clinique d’un MGM – Médicament Génétiquement Modifié – dans le cadre du traitement des tumeurs du foie.
- Redéfinir le processus administratif relatif à la création de nouvelles entreprises en associant les administrations concernées et des entrepreneurs concernés par cette activité.
Décider
- Faire participer les citoyens à la décision budgétaire dans une commune : c’est le budget participatif.
- Confier à des associations ou à des plateformes locales responsabilité de l’affectation de certaines enveloppes budgétaires – terrain de jeu, jardin public, éclairage – ou la répartition de subsides.
Produire
- impliquer les citoyens dans la gestion d’un service d’accueil.
- Faire entretenir un parc public par les habitants du quartier.
Evaluer
- Faire auditer une activité publique par un panel de citoyens qui en fait le rapportage aux autorités en réunion publique.
- Associer les occupants des logements sociaux au contrôle de la gestion des sociétés.
Le problème de fond est que ce modèle pourtant évident a peu servi de fil conducteur aux autorités et à leurs services publics pour structurer leur démarche d’implication des parties prenantes. On a surtout vu le développement d’initiatives éparses, ce qui donne l’impression d’une action au gré des opportunités -la dynamique autour du CETA au Parlement wallon en est une bonne illustration- et non d’une volonté affirmée d’appliquer systématiquement ce modèle.
Dans les administrations communales en Wallonie, le Plan Stratégique Communal est pourtant l’endroit idéal pour construire cette démarche dans les différents aspects de la vie communale.
Un exemple récent intéressant est celui de la ville de Rennes : en 2012, la ville propose à une association de se lancer dans une démarche expérimentale pour donner une affectation à l’ancienne faculté des sciences. Au lieu de prendre l’initiative dans la conception du projet avec ses architectes et ses ingénieurs, la ville a décidé de faire vivre ce bâtiment avec ce que les usagers en feraient. Les architectes et ingénieurs se sont mis au service des « citoyens concepteurs » pour développer les aménagements correspondant aux besoins des associations qui s’y sont investies. Cet exemple illustre un renversement complet dans le rapport entre l’autorité publique et la société civile avec comme trame l’appropriation par celle-ci de la sphère publique.
Un autre exemple est la création d’une commission locale de développement rural, composée à majorité de citoyens représentant les différents villages, les classes d’âge et les milieux socio-économiques et culturels, et chargée de définir le programme de projets à proposer au conseil communal et la priorité à leur accorder dans le temps.
Dans la participation à la vie citoyenne, il est donc possible d’aller plus loin que la simple fonction consultative illustrée par les commissions consultatives communales d’aménagement du territoire et de mobilité chargées de remettre des avis motivés portant sur des projets d’aménagement du territoire et d’urbanisme.
Lors d’un récent séjour au Québec, je séjournais dans le beau village de Saint-André de Kamouraska, en bordure du Saint-Laurent, près de Rivière-du-Loup, à cinq heures de voiture de Montréal. A cet endroit, la présence de moustiques durant les mois d’été est vraiment problématique. La municipalité s’est refusée à appliquer la solution la plus facile, mais aussi la plus coûteuse, à savoir l’utilisation annuelle de larvicides. Elle a donc encouragé la constitution d’un comité citoyen, composé d’habitants de la commune, chargé de réfléchir à tous les aspects de la problématique et à proposer un ensemble de solutions de contrôle des nuisances, légales et acceptables pour l’environnement.
Un autre exemple est significatif : les efforts menés par le Parlement wallon pour créer une dynamique citoyenne : pétition citoyenne, boîte à idées pour les citoyens, tirage au sort de citoyens pour participer à la discussion de sujets importants dans les commissions parlementaires.
Mais cette dynamique ne sera jamais complète que si elle couvre toutes les phases du cycle de gouvernance.
On observe pourtant l’engagement bénévole de nombreux citoyens dans de multiples associations appartenant aux secteurs culturel, social ou de la santé. On observe aussi l’apparition de nouvelles formes d’organisation de l’espace économique et social, signe d’un renouveau de la dynamique citoyenne : Système d’échange local (SEL) – entraide basé sous le signe de la réciprocité –, groupe d’achat commun, potagers collectifs, monnaies citoyennes, mobilisation pour des circuits économiques courts.
Au vu de ces engagements sociétaux, qui traduit un réservoir d’énergie disponible, je ne doute pas un seul instant de la possibilité de le mobiliser dans « la gestion de la cité » si les autorités publiques et leurs services décidaient d’en faire une clé du renouveau démocratique.
Un dernier mot : en 2011, la plateforme internationale Open Government Partnership (OGP) est créée et rassemble déjà aujourd’hui 75 pays. Elle vise à développer de nouvelles initiatives de gouvernance plus ouverte, plus responsable, plus « implicante » pour les citoyens en s’aidant notamment des nouvelles technologies. Les possibilités croissantes que celles-ci offrent permettent d’accroître constituent aussi un gisement pour la participation citoyenne.
Merci Michel pour cet article intéressant. Ma préoccupation première, pour en arriver à une démocratie davantage citoyenne et participative, est le degré de maturité que doivent atteindre les dirigeants. Freinant l’égo, acceptant de mettre à profit la pensée critique ainsi qu’une écoute exemplaire, dans le but de rendre service, voire de rendre des services mieux adaptés à la population.