La symbolique est l’ensemble des relations et des interprétations liées à un symbole. Elle peut être le fait d’une personne ou d’une communauté d’idées, de langage et de pratiques – religieuses, philosophiques ou autres. Elle constitue un élément fort de leur identité, qui peut être consolidée par la pratique de rites. Elle est un signe d’appartenance et de reconnaissance. Sa force tient aussi à ce qu’elle est une boussole pour le choix des comportements. Derrière un chant, un drapeau, un insigne, une histoire – vraie ou réécrite – peut se trouver un symbole qui résonne aux plans tant émotionnel que rationnel.
L’appropriation d’un symbole s’inscrit dans l’apprentissage de son histoire et de sa signification. Elle s’inscrit dans la culture individuelle et collective. Traduite dans un rite, la symbolique risque alors de perdre progressivement sa signification. D’où cette nécessité de se réapproprier le symbole et d’en faire un élément central de sa démarche personnelle.
C’est ce dont je voudrais traiter dans la suite de cet article, à partir de la symbolique de la croix. Mon intention ici n’est pas de mener une étude approfondie des différentes symboliques de la croix. Un auteur tel que René Guenon l’a menée dans son livre, paru en 1931, « Le symbolisme de la croix ». Son livre peut être trouvé facilement sur la toile pour ceux qui souhaitent approfondir.
Il y écrit notamment : « La plupart des doctrines traditionnelles symbolisent la réalisation de l’« Homme Universel » par un signe qui est partout le même, parce que, il est de ceux qui se rattachent directement à la Tradition primordiale : c’est le signe de la croix, qui représente très nettement la façon dont cette réalisation est atteinte par la communion parfaite de la totalité des états de l’être, harmoniquement et conformément hiérarchisés, en épanouissement intégral dans les deux sens de l’ampleur et de l’exaltation ».
Julien Ries, Professeur à l’université de Louvain et fondateur du Centre d’histoire des religions de la même université, décédé en 2013, a également souligné son caractère universel : on la retrouve entre autres dans les civilisations mésopotamiennes, élamites, amérindiennes.
Pour ne citer que quelques exemples :
dans les anciennes traditions de l’Amérique centrale, écrit Guenon, le symbole du monde est toujours donné par le cercle dans lequel est inscrite une croix ; dans l’Egypte ancienne, la croix ankh symbolise la vie, non seulement la vie sur terre mais aussi la vie d’après ;pour les chrétiens, la croix latine représente la crucifixion du Christ, symbole de l’acte d’amour dans sa forme la plus forte, ce qui pour moi est le trait est le puissant du message des Évangiles.
Dans mes recherches actuelles sur le lien entre nature et spiritualité, la réappropriation du symbolisme de la croix est pour moi « naturelle », si j’ose dire, comme elle oriente une façon de vivre. La photo ci-dessous prise dans mon jardin traduit la réflexion à ce sujet. La croix qui y figure est mienne depuis l’âge de vingt ans ; je l’ai acquise dans des circonstances qui n’ont pas d’importance pour cet article.

L’axe vertical représente pour moi l’émergence d’une spiritualité au départ de la nature. La base de la croix est l’ancrage dans le monde naturel. La perte de cet ancrage constitue une faiblesse majeure du monde actuel et un affaiblissement de la spiritualité, comme je l’expliquais dans l’article du mois de septembre : https://micheldamar.wordpress.com/2022/09/03/la-nature-et-la-spiritualite/
Tout ce qui monte converge, écrivait Teilhard de Chardin. Le sommet de la croix représente donc l’Unité, réplique au niveau supérieur de l’univers de la nature qui lui aussi est unité grâce aux multiples interactions entre ses composantes.
Le désert ou la montagne sont deux lieux forts de la symbolique de la nature. Comme l’écrivait Marie-Madeleine Davy dans « La nature et sa symbolique », le message perçu dans ces endroits n’est jamais collectif, il s’adresse nommément à quelqu’un à titre personnel. Je partage ce point de vue d’une indispensable solitude dans le rapport à la nature. Ici, c’est la puissance du silence intérieur.
L’axe horizontal signifie pour moi le développement de ses potentialités dans le rapport aux autres, dans une perspective de construction commune et de solidarité. Ici, c’est la puissance du dialogue.
Les multiples petites boules ou cercles sur les deux axes de la croix sont pour moi un appel à vivre en profondeur tous les événements de vie. Bien sûr, il n’est pas possible de vivre intensément tous les moments, ce qui est illustré par leurs dimensions variables.
André Gide a exprimé merveilleusement cette idée dans « Le temps qui passe » : « Je n’ai pas le temps de négocier avec la médiocrité. Je ne veux pas être dans des réunions où les gens et leur ego défilent … Je veux vivre à côté de gens humains, très humains. Qui savent sourire de leurs erreurs. Qui ne se glorifient pas de victoires. Qui défendent la dignité humaine et qui ne souhaitent qu’être du côté de la vérité et de l’honnêteté. L’essentiel est ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Je veux m’entourer de gens qui savent arriver au cœur des gens. Les gens à qui les coups durs de la vie ont appris à grandir avec des caresses minces dans l’âme. Oui, j’ai hâte de vivre avec intensité, que seule la maturité peut me donner… ».
Dans la belle église romane de Chapaize – dans le mâconnais, à proximité de la Communauté de Taizé –, en dessous de l’image stylisée d’une des stations du chemin de croix du Christ, figure cette inscription : « La croix, je la porte déjà en moi ».
L’appropriation du symbole dans la vie personnelle trouve ici son illustration la plus forte.