Dans L’Appel du mois de juin, j’ai trouvé cette réflexion de Jean-Pascal van Ypersele particulièrement intéressante sur ce thème qui m’occupe particulièrement ces derniers temps. Expliquant que nous n’avions pas de planète de rechange – n’en déplaise à ceux qui veulent coloniser Mars –, il ajoutait en réponse à une question posée sur sa spiritualité : « Ma spiritualité est surtout une espèce de connexion à tout ce qui est vivant dans le monde. C’est peut-être un peu abstrait, mais je pense qu’elle est la connexion invisible que nous avons quand nous sommes dans la nature, quand nous sommes en contact réel avec ce qui est vivant, pas forcément humain. Et c’est aussi celle avec l’amour. Pour moi, Dieu, c’est tout simplement l’ensemble de ce qui représente l’amour à la surface de la Terre. Et l’amour est partout. Il n’est pas visible comme tel, mais il peut le devenir dans les relations humaines, et aussi dans l’économie, la politique, la manière dont on organise la société ».
C’est assez frappant de constater que les décennies d’affaiblissement de la spiritualité sont allées de pair avec la montée en puissance du matérialisme et l’exploitation de la terre à un niveau inégalé dans l’histoire des humains. On parle d’ailleurs de la terre comme ressource comme on parle dans le vocabulaire des organisations de l’humain comme ressource.
En faisant le lien entre les deux, Jean-Pascal van Ypersele me conforte dans la conviction que celui qui fréquente la nature, qui s’y intéresse profondément, trouve là une porte d’entrée vers une plus grande spiritualité.
Fréquenter la nature, c’est plus que s’y promener, c’est plus qu’observer, c’est entrer en connexion avec elle.
A cet égard, le livre de Marie-Madeleine Davy : « La nature et sa symbolique » est particulièrement illustratif de ce lien. Cette belle phrase résume à elle seule la profondeur de sa pensée : l’ascension, symbolisée par la montée de la montagne, « comporte une sortie du monde, c’est-à-dire une traversée de la création. Celle-ci résulte d’un détachement des formes provisoires aboutissant à l’acquisition d’un regard spirituel » : un regard au-delà de la matière.
La montagne, comme symbole de la croissance vers plus d’humanité, d’une force intérieure devant les tourbillons du monde ; l’oiseau qui « traverse l’espace sans laisser de trace », un espace sans obstacle « comme une invitation à la non-souffrance qu’apporte la libération » ; l’aile, symbole de l’accès à la liberté, le ciel comme une invitation à méditer à la fois sur l’infini et sur la chance extraordinaire de l’humain à être une petite partie prenante dans cet immensité – et à ne pas gâcher cette chance – ; la lumière comme un appel au rayonnement personnel.
Dans un autre de ses livres – La connaissance de soi –, elle écrit : « La beauté de la nature, le calme d’un lac, la violence d’un torrent, un pic neigeux, le désert de sable ou de pierre peuvent en partie suppléer à l’absence d’un maître ; elle déclenche la conversion du regard et son enseignement est la beauté. Par cette beauté contemplée, l’homme se trouve transporté sur un autre niveau. » La nature est une porte vers le monde non manifesté.
Pour beaucoup, l’âme ne signifie pas grand-chose, parce qu’elle se situe dans le non-manifesté. Et pourtant ! Dans son livre « De l’âme », François Cheng, l’écrivain et poète français né en Chine, écrivait : « J’écris le mot « âme », je le prononce en moi-même et je respire une bouffée d’air frais. Par association phonique, j’entends Aum, mot par lequel la pensée indienne désigne le Souffle primordial. Instantanément, je me sens relié à ce Désir initial par lequel l’univers est advenu, je retrouve au plus profond de mon être quelque chose qui s’était révélé à moi, et que j’avais depuis longtemps égaré, cet intime sentiment d’une authentique unicité et d’une possible unité ».
L’unité – ou pour reprendre une autre expression de plusieurs philosophie venues d’Orient (le bouddhisme, le taoïsme) : la non-dualité –, s’est perdue dans la culture devenue mondiale de domination de la nature. Cette culture véhicule une conception et un rôle de l’humain comme dominant la nature, donc séparé d’elle.
Pas étonnant que cette culture provoque un éloignement de la nature et avec elle une perte de la spiritualité.
Qui dit culture dit société. Comme les changements culturels sont les plus lourds à mettre en œuvre, il est nécessaire de s’interroger sur le rôle de l’enseignement à l’égard de l’apprentissage de la nature par les jeunes générations. Ce n’est hélas pas aujourd’hui une priorité alors que c’est un débat d’une importance vitale.
Dans le désert, l’esprit qui pense
Subit par degrés sous les cieux
La dilatation immense
De l’infini mystérieux
Il plonge au fond. Calme, il savoure
Le réel, le vrai, l’élément.
Toute la grandeur qui l’entoure
Le pénètre confusément.
Victor Hugo, Les Contemplations (Livre troisième, XXX, III)