Selon le Larousse, la déconstruction est l’analyse critique d’une structure ou encore l’opération critique consistant à montrer que les discours signifient autre chose que ce qu’ils énoncent.
Dans la conception classique, le signifiant « guide » renvoie au signifié « celui qui conduit, qui montre le chemin ».
Une des illustrations historiques les plus anciennes de cette conception vient de la Bible : c’est Moïse guidant le peuple juif dans son exode hors d’Egypte et ouvrant un passage dans la Mer Rouge. Moïse est le guide traçant le chemin et sauvant ainsi son peuple de l’esclavage. Au signifié déjà cité s’ajoute ainsi celui de « sauveur » du peuple. Il se retrouve même dans le thème d’une peinture, celle de Eugène Delacroix, réalisée en 1830 : « La liberté guidant le peuple ».
Derrière ce concept de guide apparaît immédiatement un autre signifié : celui d’ « autorité ». Suivre le guide apparaît quasi-naturellement comme une obligation de ne pas s’écarter de la route qu’il a tracée. En ce sens, des chefs de guerre comme Alexandre le Grand ou Napoléon sont des guides.
Cette relation entre le signifiant et le signifié mérite aujourd’hui d’être « déconstruite » car elle est totalement dépassée, et ce, pour les raisons suivantes.
Les capacités mentales, et donc réflexives, de l’être humain ont évolué au fil des siècles appellent à mobiliser d’autres signifiés que ceux historiquement construits.
L’augmentation de ces capacités crée des espaces nouveaux de créativité. Ces espaces permettent des solutions individuelles et collectives novatrices plus grande qu’avec l’approche autoritaire. Sans vouloir faire ici l’apologie du libéralisme économique – libéralisme que je réfute dans sa version actuelle –, il faut reconnaître que la force créative de la Chine n’a jamais été aussi forte que lorsque le pouvoir chinois a ouvert l’économie à la concurrence.
Qu’est devenu le monde imprégné de l’idée de guide ? Sur le terrain religieux, des guides ont conduit à des extrémismes violents. Il en a été et il en va toujours de même sur le terrain politique avec nombre de dictateurs qui n’ont pu être délogés que par des révoltes populaires violentes. La situation n’est pas meilleure dans la sphère économique : les entreprises guidées par un management fort « guidé » exclusivement par la rentabilité économique provoquent individualisme et une dégradation de la santé qui va finir par ruiner les effets positifs de la croissance.
Les raisons justifiant une déconstruction du mot guide ayant été données, examinons maintenant les éléments clés de la déconstruction.
Déconstruire, c’est
– non pas montrer le chemin mais apprendre à l’autre à découvrir son chemin.
– non pas imposer son autorité mais ouvrir l’autre à une autre réalité que celle qu’il a perçue.
– non pas sauver en demandant de pratiquer des comportements imposés, mais initier une démarche qui permet à l’autre de concevoir et de mettre en œuvre des comportements qui augmentent sa puissance d’être et sa puissance d’agir.
Ainsi, par cette déconstruction émanent alors d’autres signifiés que ceux historiquement construits.
Lao-Tseu était, à sa façon, un guide : son texte fondateur, « Le livre de la Voie et de la vertu » est tellement hermétique qu’on dirait qu’il nous invite à nous faire notre propre « religion » sur la signification des phrases qui le composent. A-t-on jamais considéré Socrate comme un guide alors que par ses questions, il oriente le chemin de pensée et d’action de son interlocuteur ?
Dans le monde politique, les hommes politiques sont appelés leaders, souvent à tort, car avoir le pouvoir ne signifie en rien exercer un leadership; ils conduisent le peuple vers le projet qu’ils ont définis, d’une manière pacifique ou violente. Ils détiennent le pouvoir et ils en usent mais rares sont ceux qui ont ce charisme pour pouvoir susciter une réelle adhésion de leur population.
Dans le monde de l’entreprise, le guide ou le leader se distingue du manager. Le manager fixe la stratégie et les objectifs, organise et répartit les ressources. Le guide inspire, suscite l’adhésion, challenge les membres.
Pour reprendre le texte de Maeterlinck https://micheldamar.wordpress.com/2020/06/17/les-extraits-du-mois-juin-2020/ , le guide ne laisse pas ses hommes endormis. Il connaît le chemin mais ne l’impose pas ; au contraire, il aide chacun à découvrir le sien. En cela, le guide spirituel ou le leader de l’entreprise n’est pas comme le guide de montagne qui demande à sa cordée de le suivre aveuglément parce qu’il connaît les embuches du terrain et sait décoder les caprices de la météo.
Dans l’entreprise, il ne s’agit surtout pas de confondre le but et le chemin. Convaincre de la justesse du but, emporter l’adhésion de tous pour aller ensemble vers ce but, c’est le rôle du guide-leader. Laisser une marge de liberté aux équipes et aux personnes pour trouver le meilleur chemin pour atteindre le but fait aussi partie de ses attitudes.
En cela, il les invite à être eux-mêmes, à se développer en autonomie et non pas les mettre dans une situation d’attente comme les aveugles. Ou, comme je l’expliquerai dans un prochain article, à suivre aveuglément les processus.
Etre soi, c’est vrai aussi pour le guide. Certains pensent qu’il y a des personnalités pré-formatées pour être guide. Or, l’analyse des grands leaders nous apprend que les caractères sont bien différents. Entre un Nelson Mandela, un Gandhi, qui inspirent et suscitent et un Churchill avec son tempérament sanguin, il y a des différences, même s’ils ont un trait commun : leur capacité de résistance. Il faut passer quelques heures sur l’île de Robben Island dans laquelle Mandela est resté prisonnier durant 18 années en regardant tous les jours au loin la cité de Cape Town, pour percevoir ce qu’a été sa force intérieure.
Etre soi : c’est le trait commun essentiel à tous les guides.
Et c’est bien ce qui distingue le guide de l’aveugle de Maeterlinck: être soi ou ne pas être soi.
Mais que signifie être soi ?
C’est apporter notre pierre à l’édifice du monde, celle qui nous correspond. Il y a derrière cette phrase une idée de construction, de créativité, de réalisation, d’amélioration du monde Elle s’applique dans la vie professionnelle : quel est le sens de mon action dans l’entreprise, que puis-je réaliser pour faire progresser le projet de l’entreprise ? Elle s’applique dans la vie sociale : dans quoi vais-je m’investir pour rendre le bassin de vie dans lequel je vis plus humain, plus solidaire et qui me mettra en joie ? Elle s’applique dans la vie privée : quelle vie familiale ai-je la volonté de construire ? Que vais-je apporter à mes proches ?
C’est se comporter en harmonie avec ce que nous pensons. Etre soi, c’est être authentique, c’est ne pas faire croire que nous aimons si nous n’aimons pas, c’est ne pas être « lisse » si nous sommes en désaccord avec l’autre – et la confrontation n’exclut pas le respect, au contraire –, c’est influencer par la force de ses convictions et de sa passion sans manipuler – en faisant croire à l’autre que c’est bon pour lui alors que l’objectif poursuivi est surtout bon pour nous –.
C’est se transformer en accomplissant. La référence à Aristote est importante. Accomplir, ce n’est pas agir pour produire au sens technique du terme, c’est poser une acte orienté vers le bien. Et cet acte nous fait mûrir, grandir.