Le guide et les aveugles
Il est souvent très significatif de faire appel à d’autres registres de la créativité humaine – théâtre, littérature, art … –, pour y puiser des références porteuses de sens et dont le symbolisme nous aide à mettre la réalité en perspective.
C’est le cas avec une des parties de la « petite trilogie de la mort », « Les aveugles », publié en 1891, et écrit par Maurice Maeterlinck, prix Nobel de littérature en 1911. Josse De Pauw en a fait une pièce de théâtre empreinte de modernité, soutenue par la musique de Jan Kuijken et les chants a capella du Collegium Vocale de Gand.
Dans son adaptation, la pièce est le récit d’un groupe de gens échoués, sans chef ; lui était voyant et eux ne voient pas ; le guide est parti ou mort. Le texte peut faire référence à la problématique actuelle des réfugiés ; comme le précise De Pauw, « le chef peut être tout aussi bien un trafiquant d’êtres humains, un politicien ou un compagnon. Il connaît le chemin mais est-il disposé à aider ? Etre incapable de voir c’est de la folie. On est jeté sur la plage et on doit se débrouiller, sans connaître la langue ni la culture. A l’aveugle. »
Il faut bien évidemment comprendre le terme d’aveugle dans son acception symbolique et non physique. Personnellement, ce texte m’a parlé en référence à la situation des humains face à l’évolution actuelle de notre Terre, ou à la situation de certains pays confrontés au Covid-19 dans lesquels une partie de la population a suivi aveuglement son dirigeant dans son déni de la pandémie.
Ces extraits de la pièce de Maeterlinck sont présentés ci-dessous.
« Y-a-t-il quelqu’un qui sache où nous sommes ? »
« Il vaut mieux rester à sa place »
« Nous n’osons pas nous lever »
« Je suis ici ; sans savoir où je suis »
« Savez-vous où est allé le prêtre ? »
« Il nous faudrait un autre guide ; il ne nous écoute plus et nous devenons trop nombreux »
« Je suis sûr qu’il nous a égaré et qu’il cherche le chemin »
« Il disait qu’il voulait voir l’Île, une dernière fois, sous le soleil, avant l’hiver »
« On dit que les grands orages de ces jours passés ont gonflé le fleuve et que toutes les digues sont ébranlées »
« Il m’a dit qu’il ne savait pas ce qui allait arriver »
« Ayez pitié de ceux qui ne voient pas »
« Il a raison, il faut songer à vivre »
« Nous ne pouvons pas attendre éternellement »
« Nous vivons ensemble, nous sommes toujours ensemble mais nous ne savons pas ce que nous sommes »
« J’étais endormi, laissez-moi dormir »
« Nous ne pouvons pas mourir ici dans les ténèbres »
J’ajoute un texte court qui s’inscrit dans la même ligne. Il émane du philosophe allemand Frédéric Nietzsche, extrait de son livre « Ecce homo », dans lequel il fait référence à un autre de ses livres « Ainsi parlait Zarathoustra ».
Seul je m’en vais maintenant, mes disciples ! Vous aussi maintenant allez-vous-en et seuls ! Je le veux.
Eloignez-vous de moi et défendez-vous contre Zarathoustra ! Et mieux encore : ayez honte de lui ! Peut-être vous a-t-il dupés.
L’homme de la connaissance ne doit pas seulement savoir aimer ses ennemis, mais encore savoir haïr ses amis.
On récompense mal un maître à ne rester jamais que son disciple. Et pourquoi n’iriez-vous pas déflorer ma couronne ?
Vous me vénérez, mais quoi, et si un jour votre vénération tombait à la renverse ? Prenez garde de n’être pas écrasés par une statue !
Vous dites que vous croyez en Zarathoustra ? Mais qu’importe Zarathoustra ! Vous êtes mes croyants, mais qu’importe tous les croyants !
Vous ne vous étiez pas encore cherchés : c’est alors que vous m’avez trouvé. Ainsi font tous les croyants ; c’est pourquoi toute croyance compte pour si peu.
Maintenant, je vous enjoins de me perdre et de vous trouver ; et ce n’est que lorsque vous m’aurez tous renié que je reviendrai. »
Ces deux textes interpellent sur l’idée même de guide qui fera l’objet de l’article au début du mois prochain.
Jubilatoire de lire tes écrits Michel.
merci infiniment
Benoît
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