Cet extrait est tiré du livre de François Cheng, « Cinq méditations sur la beauté ».
Que l’univers nous frappe par sa magnificence, que la Nature se révèle foncièrement belle, c’est là un fait confirmé par l’existence partagée par tous. N’ayons garde d’oublier la beauté du visage humain : visage de femme célébré par les peintres de la Renaissance ; visage d’homme fixé par certaines icônes. Pour nous en tenir à la seule Nature, il n’est pas difficile de dégager quelques-uns des éléments qui tissent le sentiment du beau que nous éprouvons tous :
la splendeur d’un ciel étoilé dans le bleu de la nuit, la magnificence de l’aurore ou du couchant partout dans le monde, la majesté d’un grand fleuve traversant les défilés rocheux et fécondant les plaines fertiles, la montagne haut dressée avec son sommet enneigé, ses pentes verdoyantes et ses vallées fleuries, une oasis éclose au cœur d’un désert, un cyprès debout au milieu d’un champ, la superbe course des antilopes dans la savane, l’envol d’un troupeau d’oies sauvages au-dessus d’un lac.
Toutes ces scènes nous sont si connues qu’elles en deviennent presque des clichés. Notre pouvoir d’étonnement et d’émerveillement en est émoussé, alors que chaque scène, chaque fois unique, devrait nous offrir l’occasion de voir l’univers comme pour la première fois, comme au matin du monde.
Ici, déjà, une question se pose à nous. Cette beauté naturelle que nous observons, est-elle une qualité originelle, intrinsèque à l’univers qui se fait, ou résulte-t-elle d’un hasard, d’un accident ? Question légitime puisque, selon certaine thèse, la vie ne serait due qu’à la rencontre fortuite de différents éléments chimiques. Ainsi, quelque chose a commencé à bouger et voici qu’une matière est devenue vivante. D’aucuns dépeignent volontiers celle-ci comme un épiphénomène, et pour faire plus imagé, comme une « moisissure » sur la surface d’une planète, laquelle est perdue tel un grain de sable au milieu d’un océan de galaxies. Pourtant cette « moisissure » s’est mise à fonctionner, elle a réussi à se perpétuer en instaurant les lois de la transmission. Non content de se transmettre, il lui a pris de devenir belle.
Que la « moisissure » se mette à fonctionner en évoluant, il y a de quoi s’étonner. Qu’elle réussisse à durer en se transmettant, il y a de quoi s’étonner davantage. Qu’elle tende, irrépressiblement dirait-on, vers la beauté, il y a de quoi s’ébahir ! Au petit bonheur la chance, la matière, un beau jour, est devenue belle. A moins que, dès le début, la matière ait contenu, en potentialité, une promesse de la beauté, une capacité à la beauté ? »