Développer l’humain, c’est aller vers un plus-être et un mieux-être. Sénèque, un philosophe romain de l’école stoïcienne écrivait : « N’as-tu pas honte de te réserver le reste de ta vie de destiner aux progrès de ton âme le temps seulement où tu ne seras plus bon à autre chose ? » (1, p. 97). La course à la croissance maximale, à la performance et au bien-être matériel, constitue aujourd’hui un des plus grands obstacles à nous rendre plus humains.
Cette course est à l’origine des dégradations que nous subissons. Plus personne n’ignore que dès la fin des années ’70, les élites des pays industrialisés étaient au courant des périls climatiques et n’ont pas réagi. Aujourd’hui, les signaux qui traduisent cette dégradation sont de plus en plus visibles, avec des conséquences inégales pour les peuples. La fréquence des événements climatiques extrêmes, tant constatés qu’interprétés dans le dernier rapport du GIEC, ne laisse plus place au doute.
Dégradation de l’environnement de vie et aussi dégradation au plan humain. Un quart des morts prématurées et des maladies à travers le monde est lié aux pollutions et aux atteintes à l’environnement causées par l’humain, selon un rapport de l’ONU sur l’état de la planète. Le nombre de personnes souffrant de manifestations anxieuses, de troubles du sommeil, de dépressions ou de burn-out est en hausse constante.
De nombreux ouvrages et rapports ont détaillé les aspects de cette double réalité pour qu’il faille ici aller plus loin. Ils éclairent de la façon la plus nette que croissance ne signifie plus progrès.
Nous avons écrit ces articles avec beaucoup d’humilité, conscients que la crise écologique a fait émerger un conflit de générations, conflit dans lequel les jeunes reprochent aux générations précédentes le fait de n’avoir pas pris les mesures nécessaires pour leur assurer un avenir soutenable.
Nous-mêmes, baignés dans la culture du bien-être matériel et des innovations technologiques accélérées, ce n’est que progressivement que nous avons pris conscience de l’impasse du tout à la croissance et que nous réfléchissons à comment se dégager de cet héritage de façon à éviter la dégradation de la qualité de vie des nouvelles générations.
Ayant fait tous les deux notre parcours professionnel dans le secteur public, avec une conscience aigüe du bien commun, l’un dans le monde de l’enseignement et de l’éducation permanente, l’autre dans celui du management public et du transport, notre volonté est ici de communiquer sur les résultats d’une réflexion de plusieurs années.
Notre désillusion actuelle réside dans le fait que les changements menés ne nous paraissent pas suffisamment importants et rapides pour l’éviter. La responsabilité des dirigeants et des grandes entreprises et des politiques qui les soutiennent est énorme. Notre espoir est que la prise de conscience accrue au niveau mondial et la mobilisation croissante des jeunes générations contraignent ceux qui disposent de leviers importants à des changements profonds.
Nous percevons aujourd’hui de plus en plus les contours du monde dans lequel les jeunes générations vivront demain. Face à cet héritage, l’enjeu pour ces générations est de choisir le bon cap, faire les choix les plus adaptés, trouver en elles les ressources pour développer un autre « vivre mieux » et un « mieux vivre ensemble » dans une biosphère de plus en plus dégradée ? La pandémie du coronavirus en est l’illustration.
Dans son opération « 2049 », lancée en 2019, l’hebdomadaire L’Obs a bien résumé les défis du futur: « Penser un progressisme à visage humain, pour un monde ouvert, tolérant et créatif, dans lequel science, technique et économie sont réellement au service du citoyen et de l’intérêt général pour résoudre les grands problèmes de l’humanité » (2).
Ce n’est pas la première fois que l’humain est confronté à des situations difficiles, voire extrêmes, et est parvenu à les surmonter ; ce qui n’empêche pas certains de voir l’avenir uniquement avec le filtre du pessimisme.
Terminons cette introduction par l’analyse établie par Diamond (3) qui a mené une large étude comparative sur les facteurs de disparition et de survie de nombreuses sociétés traditionnelles. Sa conclusion est claire : ayant identifié cinq facteurs qui entrent potentiellement en jeu (dommages environnementaux, changements climatiques, hostilité des voisins, rapports de dépendance avec des partenaires commerciaux, réactions de la société), il met en évidence le fait que ce dernier facteur est toujours présent, à savoir « les institutions politiques, économiques et sociales et les valeurs culturelles influencent la manière dont une société résoudra – ou simplement tentera de résoudre – ses problèmes » (p.34).
Ce constat justifie pleinement l’orientation des articles de cette année et surtout la nécessité d’une attention collective à ces différents facteurs.
Michel Damar Joseph Pirson
____________________________________________________________________
1 Sénèque, La brièveté de la vie, Arléa, 1995.
2 L’Obs, n°2845 du 16 mai 2019.
3 Diamond Jared, Effondrement, Gallimard Folio essais, 2009.