L’extrait du mois janvier 2023

Cet extrait est tiré du livre « Latitudes » de Odile Vuillemin, dans lequel elle retrace notamment son parcours sur la terre volcanique d’Islande. Il est significatif du thème qui traverse tous les articles de cette année, à savoir faire bouger les lignes dans le rapport à ce qui nous entoure, mais aussi dans le rapport à nous-mêmes.

En Islande, la nature ne se plie pas à la volonté de l’homme. Elle n’est pas belliqueuse, mais elle ne fait simplement pas cas des hommes. Elle nous le rappelle chaque jour. Ici, tu es une petite poussière. Alors, on la respecte, pas d’autre choix. C’est comme si les esprits y veillaient. Moi, j’ai la sensation d’être son hôte, ou plutôt qu’elle me tolère. Et surtout je voudrais essayer de ne pas trop la déranger. Je crois même que j’aurais peur de laisser tomber par mégarde un papier par terre. Cette mousse recouvrant le champ de lave, j’aimerais bien la sentir, sous mes pieds, mais je n’ose pas. C’est d’une telle beauté, j’aurais peur d’abîmer. Peur tout court d’ailleurs. La nature a une autorité toute naturelle, on ne cherche pas à la défier. Elle nous met à notre place. Elle décide de notre terrain de jeu, c’est ici, pas ailleurs, et voilà, maintenant on peut jouer. Les cartes sont distribuées et elle a le jeu bien en main.

Et, contre toute attente, c’est rassurant. Parce que passé cette déconvenue du ‘Ah bon, ce n’est pas moi qui décide ? ’, et le réajustement nécessaire, une sensation bien plus douce nous saisit. Une sorte d’apaisement. Il n’y a plus de questionnement. Plus besoin d’être le plus fort. Plus besoin de se le prouver. De prouver quoi que ce soit. Plus de suprématie, de supériorité, de rand social ou de rôle à tenir. C’est comme si je n’avais plus besoin de lutter pour trouver ma place ou me faire une place. Comme si je pouvais juste exister, sans crainte. Dans la vie de tous les jours, il faut toujours être le plus fort, le plus riche, le plus talentueux, le plus, le premier. ‘Être’ et quelque chose derrière. Ici, c’est comme si je pouvais être tout court, juste être. Je me sens à ma place, pour la première fois peut-être, replacée dans l’environnement, comme un élément du décor. Aussi fragile qu’une plante, qu’un colibri, aussi forte aussi.

La nature respire à son rythme et nous invite à respirer avec elle. Dans bien des sociétés, la notion de nature en soi n’existe pas. On ne distingue pas l’humain de la nature. « Bien des sociétés ‘primitives’ nous invitent à un tel dépassement, elles qui n’ont jamais songé que les frontières de l’humanité s’arrêtaient aux portes de l’espèce humaine, elles qui n’hésitent pas à inviter dans le concert de leur vie sociale les plus modestes plantes, les plus insignifiants des animaux. » (1). L’opposition entre nature et culture n’est pas universelle, elle est intellectuelle, c’est une convention sociale. « Le concept de nature est une invention de l’Occident « (2). Ça aussi, c’est nouveau pour moi. Nous, Occidentaux, nous sommes déterminés exogènes. Nous avons circonscrit la nature et l’avons mise en jardinières, en parcs. Nous avons mis la nature en culture. Nous l’avons dénaturée et recouverte de bitume pour la faire taire. Dans notre béton armé, nous avons fini déracinés, déshumanisés. L’homme asphyxie un monde qui l’a fait naître. Il s’asphyxie.

1 Extrait de la leçon inaugurale de Philippe Descola à son entrée au Collège de France, le 29 mars 2001.

2 Interview de Philippe Descola

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2 commentaires pour L’extrait du mois janvier 2023

  1. JEAN MARIE FURNEMONT dit :

    Nous faisons partie intégrante de la nature. Si l’homme a mis la nature « en culture » il s’est mis lui même en culture détruisant ainsi en lui toute une série de ressentis et les remplacent par des substituts qui le frustrent et donc, il est rarement heureux. Alors, l’homme pour compenser produit des choses inutiles,fait la guerre et bien d’autre choses abominables

    • Michel Damar dit :

      Oui, mais hélas la guerre a toujours existé, même parmi les peuples en contact étroit avec tout ce qui les entoure et pour qui la distinction entre humain et non-humain n’existe pas. Peut-être la guerre est-elle une faille dans notre humanité ?

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