Changer de regard, c’est si simple à dire, mais si difficile à appliquer.
Pour vous faire sourire au début de cette période estivale – mais aussi, je l’espère, pour susciter votre réflexion -, je vous présente cette histoire qui me « lie » aux corbeaux. Alors qu’ils avaient quitté mon environnement immédiat, ils se sont réinstallés depuis plus d’un an, non dans un lieu éloigné de toute habitation, mais dans un bois à proximité du lieu où j’habite. Je n’ai pas encore compris la raison profonde de cette « amitié » indéfectible pour les humains.
Me voici donc « forcé » de cohabiter, comme d’autres habitants du village, avec des oiseaux qui sont connus depuis des siècles pour faire de leurs cris, un instrument puissant de réveil – dès avant l’aurore – et d’irritation. Etre forcé de cohabiter est l’expression juste: tous les efforts entrepris pour les éloigner ont été voués à l’échec. Espèce protégée par le Département de la Nature et des Forêts du Service Public de Wallonie, les conseils « soft » qu’un fonctionnaire disponible m’a donnés n’ont eu aucun résultat.
Le corbeau appartient à une des espèces les plus répandues dans le monde. Ils ont connu une expansion dans tous les continents, ce que de nombreuses autres espèces n’ont pu réaliser.
Plusieurs études ont porté sur la symbolique des corbeaux. Tantôt animal spirituel associé aux mystères de la vie, tantôt annonciateur de malheurs ou de mort. Leur couleur noire est le symbole du vide – ce qu’un taoïste ne renierait pas ! -.
Dans le Dictionnaire des symboles (1969 ; édition revue et corrigée Robert Laffont, 1982) de Jean Chevalier etAlain Gheerbrant, on apprend que : dans la plupart des croyances à son sujet, le corbeau apparaît comme un héros solaire, souvent démiurge ou messager divin, guide en tout cas, et même guide des âmes en leur dernier voyage puisque, psychopompe, il perce sans se dérouter le secret des ténèbres. Il semblerait que son aspect positif soit lié aux croyances des peuples nomades, chasseurs et pêcheurs, tandis qu’il deviendrait négatif avec la sédentarisation et le développement de l’agriculture.
Dans la mythologie scandinave, Odin, le dieu des dieux chez les Vikings, possède pour animaux de compagnie deux grands corbeaux : Huginn (« pensée ») et Muninn (« mémoire »). Ils volent chaque matin au-dessus du monde pour glaner toute information nécessaire et les rapportent à leur maître borgne.
Je pourrais aussi les percevoir comme les oies du Capitole annonçant l’arrivée d’intrus !
Cette proximité m’a amené à me poser une seule question: quel regard porter sur leur présence ? Un regard négatif ou positif ? Une acceptation de leur présence ou un refus ? Ou, en d’autres termes, comme l’écrivait récemment le philosophe Alexandre Jollien : « Quelle est la manière dont j’accueille ce qui arrive ? ».
Le philosophe grec Epictète écrivait déjà : « Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais les jugements qu’ils portent sur les choses ». Dans son livre « Changer de regard grâce à la méditation », Edel Maex (psychiatre anversois et formateur à la pleine conscience) invite à être conscient de notre attitude face à une situation donnée en se disant : « Tiens, comme c’est intéressant », afin de créer une distance vis-à-vis de celle-ci. Et, à partir de cette conscience, expérimenter, expérimenter encore, un autre point de vue qui conduira à un changement de comportement. Un regard autre porté sur la présence et les cris des corbeaux m’a amené à ce changement vis-à-vis d’eux et, ainsi, à vivre plus positivement mon acceptation de la situation. La clé réside donc dans le lâcher prise vis-à-vis de ce premier regard.
Dans un de ses livres : « S’asseoir », Thich Nhat Hanh, maître bouddhiste vietnamien décédé récemment, insistait sur l’importance de ne rien faire, comme moteur de la perception de la réalité :
Pensez aux arbres qui forment une forêt : ils ne parlent pas, mais chacun d’eux ressent la conscience de ses congénères. Quand vous les regardez, vous pouvez croire qu’ils ne font rien, mais en réalité ils poussent et fournissent de l’air pur aux êtres vivants, pour que ceux-ci puissent respirer. Plutôt que de présenter la méditation assise comme une pratique de concentration, de regard profond et de réalisation, je préfère la décrire comme le plaisir de ne rien faire. S’asseoir, c’est avant tout se délecter du plaisir de s’asseoir, du plaisir d’être pleinement vivant et en contact avec les merveilles de notre corps qui fonctionne, avec les merveilles autour de nous, le chant des oiseaux, les couleurs du ciel toujours changeantes.
Et il ajoutait : chaque fois que nous nous arrêtons vraiment et que nous regardons en profondeur, nous parvenons à une meilleure compréhension de la nature véritable de ce qui est là en nous et autour de nous.
C’est dans ces moments que je ressens en moi combien notre culture de domination de la nature (qui hélas sur ce point se généralise dans le monde) nous imprègne profondément. C’est dans ces moments également que je perçois combien les arbres, les plantes, les oiseaux ont une vie indépendante de la nôtre ; que cette vie, ils la poursuivent sans nous et que nous ne sommes finalement qu’un élément dans cette Réalité.
Changer de regard demande du temps. Parfois, il m’arrive de rechuter ! De-là la nécessité d’être conscient du moindre signe avant-coureur d’un retour au regard ancien. De toute façon, comme ces volatiles ont trouvé l’endroit propice, le printemps prochain verra le début d’un nouveau cycle de construction de nids après les dégâts causés par les intempéries automnales et hivernales.
Mais n’anticipons pas !
Durant cette période d’été, je vous souhaite de faire l’apprentissage du changement de regard.
Quelle vérité, simple mais o combien importante. De mon côté j’essaye d’appliquer cela aux Pies, cousines des corbeaux, dont le cri est tout aussi beau.
C’est vrai que regarder la nature autour de soi; comme le corbeau qui essaye d’écarter la buse de son territoire, est une chose étonnante.
Epic tète qu’il a raison …
De même pour le Tichque vietnamien … j’espère avoir été un arbre qui n’a rien caché
mais qui a participé à la vie de la forêt en étant plus souvent assis que debout !
C’est tout bête, c’est très matériel, mais depuis que mon ascenseur en panne
m’oblige à me taper trois étages dans les deux sens … mon regard a changé …
Cela fait partie de la vie avec ses hauts et ses bas !
Courage Jean-Pierre dans tes montées de la côte de Salzinnes !
Une autre vison de la noirceur du corbeau : « Les corbeaux blancs représentent la justice. Que vous ayez fait du bien ou du mal, le corbeau blanc vous dit que votre avenir le reflétera. Comme le karma, le corbeau blanc vient vous dire que l’on récolte ce que l’on sème. »
Merci pour cette vision, Michel. J’ai besoin d’explication: le corbeau blanc est une espèce très rare; d’où ma difficulté à comprendre le symbolisme que tu décris.