Je lisais dernièrement dans le magasine L’Appel une interview de Céline Nieuwenhuys, secrétaire générale de la Fédération des services sociaux. Elle déplorait l’engouement pour le développement personnel au détriment d’un engagement pour un monde qui change, en ajoutant « certaines personnes s’intéressent plus aux arbres et à la terre qu’aux humains. Je suis inquiète de ces dérives. Les gens se basent sur leurs émotions et non sur des analyses fondées ».
Cette réflexion, très compréhensible compte tenu de la position qu’elle occupe, me conduit à m’interroger sur le rôle du développement personnel dans notre société et le lien qu’il peut avoir avec la nature.
Le développement personnel connaît une croissance accélérée. A côté de la spiritualité pratiquée dans les lieux de culte ou les temples, se développe maintenant un secteur de plus en plus « marchandisé » de formations, de séminaires, de voyages de ressourcement dans le but d’offrir aux personnes qui y participent un moment de retour sur elles-mêmes et de prise de recul face à une vie trépidante et, pour certains, anxiogène. Il y a certainement dans ce mouvement une volonté de cultiver une vraie authenticité, la fuite d’un réel difficile à vivre ou une combinaison des deux.
Si elle est fuite, c’est-à-dire le refus conscient ou non de s’investir dans la transformation de la société, je comprends la réflexion citée au début de l’article. Le développement personnel mange tout l’espace de liberté de la personne au détriment d’un « faire social ». C’est toute la tension qui existe en chacun d’entre nous entre l’être et le faire, celle entre le yin et le yang. Et c’est un choix tout personnel de mettre le curseur d’un côté, de l’autre ou en équilibre entre les deux.
Personnellement, je dirais que les deux constituent un facteur de transformation de la personne. L’engagement sociétal, comme acte dans la collectivité, crée un rapport à l’autre, une solidarité qui me transforme aussi, autant que l’approfondissement du rapport à moi-même. François Cheng écrivait que l’altérité est indispensable pour que chacun se forme, s’élève et se dépasse. Je perçois donc les deux comme complémentaire et non exclusif. Dans les lieux de spiritualité dont j’ai parlé plus haut, la solidarité envers les plus démunis est toujours bien présente.
Le danger d’un repli sur soi est réel dans notre société. Il est vrai que les défis auxquels celle-ci est confrontée peuvent provoquer chez beaucoup un sentiment d’impuissance, la perception que nous nous rapprochons d’un mur infranchissable et la conviction que nous n’y pouvons plus grand-chose malgré l’action de tous ceux qui se démènent pour que cela change – et particulièrement la jeunesse.
Et c’est ici qu’un mot, une valeur, prend tout son sens et regroupe tous les enjeux : PROTECTION. Protection de soi, protection des autres, protection de la nature. J’ai l’intime conviction que les 3 sont étroitement liés. La protection de la nature, sa préservation, est source de protection de soi et des autres. Les autres sont aussi susceptibles de me protéger en cas de coup dur, au travers de la solidarité personnelle ou collective. En protégeant les autres et la nature, je me protège également à travers une logique de réciprocité. Notons d’ailleurs que dans la tradition monastique, les trois enjeux sont présents : spiritualité et développement humain, hospitalité et sobriété dans le rapport à la nature.
Mais quelles sont les racines de ce mot PROTECTION ? Elles sont au nombre de 4 : la perception, la sensation, l’émotion et la raison.
La perception : ce qui est perçu à travers l’observation attentive de moi-même, des autres et de la nature. Le travail sur la pleine conscience permet l’acquisition progressive de ce sens de l’observation.
La sensation : le ressenti dans mon corps, les signaux qu’il émet, à partir de ce qui est perçu de soi, des autres et de la nature : frissons, mal au ventre, sensation de bien-être corporel …
L’émotion : l’état affectif résultant de la perception – joie, colère, tristesse, peur, dégoût …
La raison : la réflexion sur la situation perçue et l’enrichissement de celle-ci par des informations complémentaires.
C’est en cultivant ces racines que la protection va permettre une extension de l’être et du faire dans les différentes dimensions. C’est à ce prix que l’Homme ne sera pas unidimensionnel pour reprendre l’expression du philosophe Herbert Marcuse dans son livre éponyme de 1964 et que les interactions ou les interdépendances qui existent dans le monde des vivants trouveront à s’épanouir.
La protection serait-elle une conséquence de la peur ? D’où viendrait cette peur ?
Merci, Michel, pour ta question. Pour moi, la protection trouve sa source dans ce que le philosophe Hans Jonas appelle la crainte, à savoir un mélange de peur et d’appréciation consciente de la réalité. Pour certains, elle se double d’un sentiment de nostalgie, résurgence d’un passé qui n’existe plus. Vis-à-vis de l’évolution de la nature, certains l’ont appelé la solastalgie (détresse psychologique et la souffrance existentielle liée à la prise de conscience d’une urgence écologique). Voilà comment je vois les choses.