Quelle est Ta question dans la vie ?

Dans « La plus secrète mémoire des hommes » (Prix Goncourt 2021), Mohamed Mbougar Sarr affirme que « chacun de nous doit trouver sa question ». Et il poursuit ainsi en affinant sa réflexion : « Pourquoi ? Obtenir une réponse qui lui dévoilerait le sens de sa vie ? Non : le sens de la vie ne se dévoile qu’à la fin. On ne cherche pas sa question pour trouver le sens de sa vie. On la cherche pour faire face au silence d’une pure et intraitable question. Une question qui ne posséderait aucune réponse. Une question dont le seul but serait de rappeler à celui qui la pose la part d’énigme que sa vie porte. Chaque être doit toucher sa question pour toucher du doigt l’épais mystère au cœur de son destin : ce qui ne lui sera jamais expliqué, mais qui occupera pourtant dans sa vie une place fondamentale.

Des hommes meurent sans avoir trouvé leur question. D’autres l’identifient tard au cours de leur vie. Moi, j’ai eu la chance et la malédiction de trouver assez jeune la forme de ma question. Délivré pour le reste de mes jours de l’angoisse de la chercher, je me suis en même temps chargé d’une autre angoisse : être hanté à jamais par le silence ouvert devant mon interrogation. Mais ce silence n’est pas un vide. Il est toujours peuplé par le tumulte des hypothèses infinies, des réponses possibles et des doutes immédiats qui lui sont attachés. »

Hegel a écrit que ce n’est qu’au début du crépuscule que la chouette de Minerve prend son envol (dans la mythologie romaine, Minerve est la déesse de la sagesse dont le symbole est la chouette), soulignant ainsi que la signification apparaît non dans le présent, mais lorsque tout est accompli.

Dans l’univers bouddhiste, la question peut prendre la forme d’un kōan, une phrase qui ne peut être appréhendé par la voie de la raison. Dans « Le miroir vide », Janwillem Van de Wetering, a résumé ainsi la démarche que son maître lui a expliquée : « Unis-toi au kōan, oublie-toi, oublie tout ce qui te concerne. Quand tu es assis, ne bouge pas, reste en équilibre, respire calmement, fais le vide dans ton esprit, et répète ton kōan comme s’il y allait de ta vie, doucement, encore et toujours ». Parmi les nombreux exemples de kōan qui existent, je retiens celui-ci, bien rapport avec le questionnement existentiel : montre-moi le visage que tu avais avant que tes parents naissent ; montre-moi ton visage originel.

D’autres se sont également interrogés. Comme l’a souligné le lauréat du Goncourt, la question du sens émerge à la fin. Ainsi, cette phrase « Every step I have taken in my life has led me here, now – Chaque pas que j’ai fait dans ma vie m’a conduit ici, maintenant ». Elle est incrustée dans une pierre qui se trouve à l’aéroport de Milano-Malpensa, œuvre de l’artiste italien Alberto Garutti. Le français Pierre-Henri Giscard, spécialiste de l’archéologie mongole, a exprimé, une pensée similaire, quand en 2016, il pensait avoir localisé le tombeau de Gengis Khan sous un tertre au sommet du mont Burkhan Khaldun, dans le Nord-Est de la Mongolie. Cette hypothèse forte (mais non vérifiable car le site est intouchable) a donné sens à toute sa vie.

Le sens peut aussi prendre la forme d’un lieu. Ainsi, cet extrait de ce chant iroquois repris par Kenneth White dans son livre « La route bleue » en 1983 : « Nous avons fait tout ce voyage pour trouver notre vie ». Ou encore cette belle phrase d’André Breton, chef de file du mouvement surréaliste, découvrant le village pittoresque de Saint-Cirq Lapopie dominant le Lot : « Saint-Cirq a disposé sur moi du seul enchantement : celui qui fixe à tout jamais. J’ai cessé de me désirer ailleurs.»

Le questionnement crée le mouvement, je dirais même qu’il en est le moteur. Il ouvre à l’intérieur de soi une démarche, un processus de recherche qui peut s’avérer laborieux mais aussi riche d’orientation. Comment ne pas rapprocher ce processus de la notion de Tao, le fondement de l’univers taoïste ; le Tao est un processus, dynamique, immatériel, insaisissable, fluide qui désigne tout à la fois la voie, le cours des choses, le destin, le fondement de tout ce qui existe ; et animé par le souffle-esprit, le qi comme le dit François Cheng. Ce processus – je ne trouve pas d’autre mot – interne s’inscrit dans le mouvement de l’univers.

Dans le roman de Mbougar Sarr, la question qui traverse la vie de T.C. Elimane et qui le conduit à une vie d’errance, est « pourquoi lui » (pourquoi mon frère et pas moi?). Certainement, pendant la pandémie que nous avons connue, de nombreuses personnes, ayant vécu douloureusement l’isolement, se sont posées des questions difficiles : « Pourquoi est-ce moi qui suis maintenant à la lisière du monde ? », « L’isolement subi est-il non-sensé ? », « Quel est le sens de ma vie aujourd’hui ? », « Où se situe ma vraie liberté ? », « Pourquoi finalement suis-je sur cette terre ? ». Le philosophe et écrivain suisse Alexandre Jollien a expliqué quelle est la grnade question de sa vie: « qui serait là en cas de pépin ? ». Une question pleine de sens vu son handicap. La question ne se décline pas dans le registre du mental. J’ai lu quelque part « laisse le mental dans le royaume qui lui est propre ». Elle se découvre dans le royaume de l’être, ou du mal-être, tout entier.

Si l’on décline le questionnement à partir des neuf bases de personnalité de l’ennéagramme, il prend la forme suivante selon la base de la personne. Base 1: pourquoi cette volonté de s’améliorer ? Base 2: pourquoi ce besoin de reconnaissance ? Base 3: pourquoi cette importance d’être applaudi pour ses réalisations ? Base 4: pourquoi cette nécessité de se différencier? Base 5: pourquoi cette recherche d’indépendance ? Base 6: pourquoi cette obsession pour la sécurité ? Base 7: pourquoi cette orientation vers le plaisir ? Base 8: pourquoi ce besoin de contrôle des personnes et des situations ? Base 9: pourquoi cette recherche de l’harmonie ?

Une fois la question trouvée, si elle l’est un jour, une autre question surgit dans son prolongement : et maintenant ? Je pense de plus en plus à cette question lorsque, au détour d’un chemin, je photographie une scène que je découvre et qui constitue la source de l’inspiration pour l’écriture des haïkus et quatrains. Qu’est-ce qui suit immédiatement l’observation ? Ou entre l’observation et l’écriture ? « Sur le bord de la rivière Piedra, je me suis assise et j’ai pleuré » a écrit Paulo Coelho. La rivière vue est le point de départ d’une expérience personnelle.

Quel changement durable provoque en moi cet entre-deux ? Et quelle est sa consistance? Ainsi, par exemple, quelle est l’empreinte laissée par des dizaines de millions de photographies prises dans le monde par un nombre incalculables d’êtres humains? Un zapping permanent ne fait pas sens, c’est seulement remplir la « corbeille » prélude au « delete » ! C’est dé-crocher rapidement de l’expérience vécue et non pas s’y ac-crocher.

La seule réponse que je vois est de s’élever en tant qu’être humain et développer son aptitude à sentir le monde, deux thèmes qui participent au processus – toujours lui – de vie et qui seront explorés dans mes prochains articles.

Comme conclusion, je cite François Jullien qui, dans son dernier livre « L’incommensurable », définit une vraie vie, faite de « dé-résignation » et de « dé-enlisement ». Le contraire de la résignation, subir sans réagir, et de l’enlisement, ne pas pouvoir bouger, c’est bien en effet le mouvement.

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