Le livre d’Arne Næss , Une écosophie pour la vie, est une petite merveille. Il nous fait pénétrer dans un univers de pensée, plus profond que l’écologie que j’appelle classique et qu’il appelle superficielle car elle reste au niveau – non négligeable mais insuffisant – de la lutte contre la pollution et l’épuisement des ressources.
L’écologie profonde, comme il l’appelle, vise à reconnaître l’interaction profonde entre toutes les formes de vie, une diversité affirmée qui augmente les potentialités de survie.
Dans son approche, Arne Næss fait souvent référence à la philosophie de Baruch Spinoza, ce philosophe du XVII siècle, contemporain de René Descartes. Spinoza a, le premier, a introduit l’importance des affects dans la conduite des hommes. Pour lui, les affects comprennent à la fois les émotions et les sentiments. La ratio, comme il l’appelle, est bien plus large que ce que nous appelons aujourd’hui la raison mais couvre à la fois la pensée, les émotions et les sentiments.
Quelle pensée avant-gardiste sur ce que doit comprendre une décision pour être vraiment « juste », en accord avec notre nature et nos valeurs !
Dans le prolongement de Spinoza, il écrit ceci :
« En ce qui concerne les objectifs fondamentaux qu’un être humain peut se fixer, Spinoza semble suggérer qu’il est possible de dresser une liste d’objectifs communs à tous. Y figure en bonne place cela même qui fait spontanément l’objet de notre préoccupation aux uns et aux autres, à savoir le bonheur, le développement personnel et la présence de sens. En m’inspirant de la façon dont Spinoza conçoit la relation entre les affects actifs (par rapport aux affects négatifs tels que la tristesse ou l’angoisse) et la poursuite des objectifs essentiels, je propose la liste suivante, articulée en huit points, que j’énumère sans ordre particulier :
1. Etre compris pour ce que l’on est sans référence à autre chose que soi-même. Ce que chacun fait, ce que chacun décide de faire – nul ne souhaite que cela puisse être compris à partir de quelque chose qui lui soit extérieur ou étranger.
2. Etre actif(ve) plutôt que passif(ve) dans la relation à ce qui nous concerne.
3. Etre la cause de quelque chose plutôt que l’effet de quelque chose.
4. Avoir la capacité d’accomplir ce que nous nous efforçons d’accomplir. Avoir la puissance de le faire. Cette dernière exigence est centrale puisqu’elle conditionne la réalisation des objectifs précédents.
5. Etre libre.
6. Mener à bien ce que nous entreprenons.
7. Faire ce que chacun a le droit de faire.
8. Etre fidèle à ce que nous voulons être. » (Seuil, Points, p.219)
Nous retrouvons dans ces huit affirmations la base même de l’homme libéré dans l’entreprise. Personnellement je préfère cette expression à celle d’entreprise libérée : l’homme à qui la liberté d’action – individuelle ou collective – a été donnée par le choix d’une gouvernance adéquate. Cet agir autonome en fait un acteur, un créateur dans ce qu’il a le droit de faire en rapport avec sa nature, ses potentialités et correspondant à ses capacités actuelles et à développer. Son développement est rendu possible grâce à une politique RH adéquate. L’homme libéré dans l’entreprise est habité par la volonté d’agir, sous-tendu par le sens donné à son travail.
Merci beaucoup, Michel. Comme toujours tes messages sont stimulants. Tes 8 propositions inspirées par Spinoza me laissent pourtant sur ma faim… « Etre libre »… Bien sûr, mais qu’est-ce à dire ? C’est tout un programme en soi. « Etre la cause de quelque chose plutôt que l’effet de quelque chose »… Spinoza ne dit-il justement pas que notre liberté consiste précisément à être conscient que nous sommes pris dans un réseau infini de causes et d’effets sur lesquels nous n’avons pas ou très peu de prise… Bref, à discuter ensemble quand nous en aurons l’occasion. A bientôt.
Merci pour ta réflexion, Laurent.
Fameux débat que celui-là. Au niveau de l’entreprise, je vois la problématique de la liberté dans le cadre d’une autonomie donnée par le management aux membres du personnel et aux équipes. C’est, me semble-t-il, la dynamique de l’entreprise libérée. Je constate d’ailleurs que dans l’institution psychiatrique où je suis vice-président, la Covid a accéléré la réflexion stratégique pour aller dans cette direction. Etre la cause de quelque chose, c’est pour moi être à la base d’une initiative créatrice, qui donc est de nature à provoquer un changement, une valeur ajoutée.
Au niveau personnel, l’élargissement de la conscience est un enjeu pour se dégager – avec beaucoup, pas ou peu de succès – des causes qui nous déterminent et des effets que cela produit. Le premier enjeu pour moi est de créer les conditions de cet élargissement – ici, tant l’entreprise que la personne ont un rôle à jouer, une énergie à orienter.
Prenons l’exemple du changement climatique. Beaucoup disent, et ils ont raison, que si chacun d’entre nous faisaient un effort, on n’améliorerait pas significativement la situation, parce que les « gros » pollueurs sont ailleurs et prisonniers de leur logique néolibérale. Mais ils ont tort de ne pas considérer que tous les efforts individuels sont un facteur puissant de mobilisation citoyenne pour changer les effets de cette logique.
Pour moi, ce n’est donc pas aussi radical que ce qu’a écrit Spinoza.
A te lire avec plaisir.
Bien cordialement,
Michel