La pleine conscience porteuse de développement humain
Ce chapitre a été établi à partir des écrits d’Edel Maex, de Jon Kabat-Zin et de Matthieu Ricard.
Le philosophe d’origine indienne, Jiddu Krishnamurti soulignait que : « La méditation est l’art majeur de l’être humain ». Matthieu Ricard (p.9) insistait sur le fait que : « Chacun d’entre nous dispose du potentiel nécessaire pour s’affranchir des états mentaux qui entretiennent nos souffrances et celles des autres, pour trouver la paix intérieure et pour contribuer au bien des êtres ». Ajoutons : à leur bien-être également.
Jon Kabat-Zinn s’est inscrit dans ce mouvement en initiant la méditation en pleine conscience, créant la Clinique de réduction du stress (Stress Reduction Clinic) et le Centre pour la pleine conscience en médecine (Center for Mindfulness – CFM – in Medicine, Health Care and Society) de l’université médicale du Massachusetts.
Sur base de ses travaux, le programme MBSR de réduction du stress basée sur la pleine conscience – Mindfulness-Based Stress Reduction – de 8 semaines s’est largement développé en Belgique, notamment sous l’impulsion d’Edel Maex, psychiatre à l’hôpital ZNA Middelheim d’Anvers.
La méditation en pleine conscience est : « Cette qualité d’esprit qui remarque ce qui est présent, sans jugement, sans interférence. Elle est comme un miroir qui reflète clairement ce qui est placé devant lui ». Cette citation est de Joseph Goldstein, enseignant de Vipassana, une des techniques de méditation les plus anciennes de l’Inde, mentionnée dans le livre de Kabat-Zinn (p.120).
La méditation en pleine conscience devrait avoir sa place dans une entreprise humanisée pour deux raisons.
La première est qu’elle s’inscrit pleinement dans le nouveau paradigme qui place le développement des personnes au même niveau que la réalisation des missions.
La seconde est que le « non-agir » inhérent à la pleine conscience permet la prise de recul, la pleine perception de la réalité du moment qui permet de développer le mieux-être des personnes qui investissent leur énergie dans une aventure collective.
Détaillons maintenant les mots clés qui caractérisent cette forme forte de présence au monde. A l’exception du passage du livre d’Edel Maex, toutes les phrases sont de Gwénola Herbette, de l’Institut Pleine Conscience, instructrice et formatrice MBSR certifiée – CFM UMass –, Docteur en psychologie et psychothérapeute, auprès de qui j’ai suivi le programme MBSR.
- S’arrêter.
« Pratiquer la conscience de la respiration et du corps est une manière de s’entraîner à habiter pleinement notre vie alors que nous sommes si souvent pris par l’action, emporté par nos pensées et par nos jugements ou encore aveuglés par nos automatismes. S’arrêter le temps d’un instant et revenir ici et maintenant ».
« Orientez doucement votre attention vers la respiration, pleinement présent aux sensations de l’inspiration, pleinement présent aux sensations de l’expiration ».
« S’ancrer dans le souffle, moment après moment, sentir le corps comme un tout, le corps qui respire ».
« La respiration, toujours présente, alliée fidèle permettant à notre attention de s’ancrer dans le moment présent lorsque l’esprit s’agite, s’égare, devient distrait ou préoccupé et ramener votre esprit aussi souvent que nécessaire, avec patience, fermeté et bienveillance ».
« Offrons-nous chaque jour un temps où nous ne serons pas interrompus, un temps pour mettre de côté nos activités habituelles, un temps pour être et pour observer avec curiosité, patience, bienveillance, notre expérience se déployer dans notre corps et dans notre esprit moment après moment et de la sorte apprendre à nous relier de cette manière à notre expérience ».
« Accordez votre attention à ce que vous ressentez à cet instant. Quelles sensations pouvez-vous remarquer dans votre corps ? Quelles pensées traversent votre esprit en ce moment ? Quelles émotions vous habitent maintenant ? ».
« Prenez conscience de votre expérience intérieure du moment avec curiosité et bienveillance ».
« Intéressez-vous à ce qui se passe en vous en ce moment, avec douceur, quelle que soit votre expérience ».
« Ayez la pleine conscience de l’expérience du souffle avec curiosité et ouverture, instant après instant ».
« Accordez à vos émotions, pensées et sensations une attitude ouverte et bienveillante, comme elles font partie de l’expérience du moment présent ».
- Non-jugement.
« Si votre attention se détourne de votre respiration, s’orientant vers une pensée liée au passé ou au futur, c’est tout à fait normal, nul besoin de se juger pour cela. Simplement, à ce moment, reconnaissez les pensées pour ce qu’elles sont : juste des pensées qui viennent et qui passent ».
« Tôt ou tard, vous constatez que l’esprit vagabonde, distrait par des pensées liées au passé ou au futur : rêverie, souvenir, regret, planification, espoir, jugement. Nul besoin de se juger, il ne s’agit en aucun cas d’une erreur ou d’un échec : l’esprit fonctionne de cette manière. Simplement, dès que vous remarquez cela, identifiez là où l’esprit s’en est allé et puis, avec fermeté et douceur, ramenez-le dans la perception du souffle ».
« Plutôt que d’être happé par les pensées, nous les laissons passer ».
- Contrôle.
« Il ne s’agit pas de changer les choses, ni d’atteindre un état particulier, ni de modifier la respiration pour la rendre plus lente, plus profonde ou plus régulière. Il s’agit simplement d’être présent à notre expérience du souffle avec curiosité, avec bienveillance, ici et maintenant ».
« Il n’y a rien à changer, rien à atteindre, rien à obtenir, simplement étreindre notre vie à chaque instant, telle qu’elle se présente ».
- Dignité :
« Installez-vous dans une posture droite et digne incarnant la présence, la bienveillance et l’ouverture à l’expérience du moment présent ».
« Sentir dans votre corps l’enracinement et l’élévation ».
- Intimité.
« Se déposer dans l’intimité du moment présent ».
« Se déplacer dans l’intimité de notre souffle, l’étreindre en pleine conscience ».
« « L’entraînement à la pleine conscience est un entraînement permanent à sortir de nos limites. Avec un regard ouvert, vous voyez des choses que vous ne remarquez pas avant. La mindfulness nous fait inévitablement voir des limites et ce qui se trouve au-delà de ces limites. La simple instruction de se réserver trois quarts d’heure par jour confronte beaucoup de personnes à des obstacles inattendus. Ils se disent par exemple : « Je n’ai pas le temps » ou « Je n’ai pas le droit de m’accorder tant d’attention ». L’entraînement à la pleine conscience vous permet peut-être de découvrir une douceur insoupçonnée en vous ou simplement votre fermeté. La méditation peut vous confronter à une tristesse évitée depuis longtemps, mais également à une joie que, du même coup, vous ne connaissiez pas davantage. Il y a une ouverture constante pour regarder ce qui se présente. Quand vous voyez de nouvelles possibilités, vous voyez du coup automatiquement l’invitation à y répondre autrement » ». (Edel Maex, p.27, 28)
S’arrêter et regarder, c’est créer la possibilité d’agir différemment que notre réaction automatique ou c’est décider en pleine conscience de se comporter ainsi.
Dans cette perspective, voici en quoi pourrait consister le développement de la pleine conscience dans le monde professionnel.
- Mettre en œuvre un programme pluriannuel d’apprentissage de la pleine conscience.
De tels programmes ont d’abord été développés dans des hôpitaux pour les patients et s’étendent maintenant aux membres du personnel. Le même mouvement se constate dans des entreprises et même dans des écoles.
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Illustration
Ci-après, un témoignage éclairant d’un membre du personnel d’une institution hospitalière ayant suivi le programme MBSR. Ce témoignage illustre l’impact de la formation sur la personne en tant que telle et sur sa relation avec les patients.
« Cette formation et cette expérience de pleine conscience m’offre à présent une corde complémentaire à mon arc thérapeutique, d’une part dans ma pratique clinique avec les patients et d’autre part à travers ma fonction de leadership avec les membres de l’équipe de soins au quotidien.
Je peux, grâce à cette formation, prendre de la distance par rapport à des réactions qui pouvaient parfois m’envahir auparavant. Cela m’aide à être plus conscient des moments présents, de mes émotions – positives ou négatives – et d’agir sur le moment présent, ici et maintenant.
Depuis cette formation, régulièrement, dans mon bureau, je prends le temps de m’arrêter pour prendre du recul et baisser mon niveau de tension, avant ou après des échanges importants –réunions, entretiens cliniques émotionnellement éprouvants, prises de décisions – en me concentrant sur ma respiration et porter mon attention sur ce qui est ici et maintenant.
J’ai gagné, par la pleine conscience, une expérience humaine et personnelle positive tant au niveau de ma vie professionnelle qu’au niveau de ma vie privée, j’arrive plus facilement à réguler mes émotions, à être plus attentif et concentré.
Je passe plus aisément du stade de l’émotion à celui de la réflexion. Ces techniques m’ont également permis de traverser plus paisiblement les différentes étapes des changements institutionnels auxquels j’ai dû faire face ces derniers mois.
C’est ainsi que je pratique la pleine conscience quotidiennement à l’aide d’exercices soit centrés sur la respiration soit sur les sensations corporelles de certaines tâches journalières…et comme en tant que soignant, l’hygiène des mains est une pratique prioritaire, j’ai de ce fait, l’occasion de pratiquer la pleine conscience régulièrement pendant le lavage des mains ».
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- Proposer à tout son personnel le programme MBSR.
- Aménager un local approprié pour pratiquer la pleine conscience et réserver une disponibilité horaire de vingt minutes pour pratiquer la pleine conscience à n’importe quel moment de la journée. Ceci est particulièrement important, par exemple après le stress dû à une rencontre délicate avec un client, un patient …. . Nous reviendrons sur ce point dans la partie 9, en rapport avec l’espace-temps.
Mais cela ne peut s’arrêter là : les réunions, les dialogues professionnels en tête-à-tête sont aussi générateurs de stress car ils peuvent déboucher sur des divergences importantes de point de vue ou sur des conflits.
Rêvons un peu : que chacune de ces rencontres soit l’occasion de pratiquer la pleine conscience, et ce, en trois étapes : avant, pendant et après la rencontre.
Avant la rencontre : se centrer sur sa respiration, être ouvert aux tensions existant dans son corps, accueillir les pensées et les émotions qui vous envahissent à ce moment avec bienveillance, sans jugement et sans s’y accrocher.
Pendant la rencontre : être non seulement attentif à ce que l’autre dit et à la manière dont il le dit, mais aussi attentif à soi-même, à ses pensées, émotions et sensations physiques dus à l’évolution de la discussion et aux attitudes de vos interlocuteurs. Cette pleine conscience va vous aider à éviter la réponse automatique – la colère par exemple si vous vous sentez agressé – et donc à enrichir le dialogue plutôt que de le rendre stérile.
Après la rencontre : se centrer à nouveau sur sa respiration, accueillir de la même façon qu’avant la rencontre tout ce qui se présente en vous, comme étant seulement le résultat de ce qui s’est passé pendant la rencontre, sans plus.
Ceci implique que chacun consacre plus de temps à réfléchir à la manière dont ces trois étapes se sont déroulées. Ceci demande non seulement de bien noter les pensées, émotions et sensations à chacune de ces étapes, mais aussi de bien identifier les différences entre ce qui s’est vécu avant et après la rencontre.
Pourquoi est-ce important d’observer ces différences ?
En premier lieu, pour bien appréhender si des peurs et des pensées présentes avant une rencontre sont toujours bien présentes après celles-ci, en d’autres termes, si le film mental et émotionnel s’est ou non vérifié ; et quelle conclusion en tirez-vous sur vous-même et pour de futures rencontres ? Si vous prenez périodiquement des notes, en les relisant, vous pourrez percevoir les évolutions dans votre manière d’être et d’agir et vous donner de nouveaux défis d’évolution.
En second lieu, pour vous permettre de décider du contenu du feed-back que vous pouvez apporter à une ou plusieurs personnes présentes lors de ce dialogue. Ce feed-back va créer une dynamique pour les dialogues futurs dans la mesure où il ne portera pas uniquement sur le contenu de la discussion mais aussi sur les ressentis des uns et des autres.
Certains voient dans la pleine conscience une aide à la créativité, à la détection des signaux de l’environnement (partie 3) et à la prise de recul favorisant la prise de décision adéquate – développée ci-après –. Pour nous, cette démarche s’inscrit en premier lieu dans un itinéraire de développement personnel.