Le nécessaire travail sur l’identité du groupe
De nombreux groupes fonctionnent sans avoir réellement réfléchi sur leur identité, mettant exclusivement l’accent sur les résultats, sauf dans les moments de crise extrême quand cette réflexion devient alors une nécessité.
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Lors du récent séminaire co-animé sur la gestion prospective d’un portefeuille de projets, les participants étaient répartis en deux groupes pour mettre au point leur portefeuille à partir de la situation d’un service confronté à une nouvelle stratégie. Un des deux groupes avait manifestement des difficultés à entrer dans une dynamique collective. Au moment de la présentation de leurs résultats, ils nous ont expliqué qu’il n’a véritablement pu démarrer ses travaux qu’après avoir réfléchi à son identité. Ils ont centré cette identité sur les valeurs du groupe, c’est-à-dire ce qui est vraiment important en tant que groupe. A titre exemplatif, les trois valeurs faisant sens pour eux étaient : la collaboration participative, l’ouverture d’esprit et l’expérience acquise – nous ne partons pas de rien, il n’y a pas de point zéro –.
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Beaucoup d’équipes, permanentes ou liées à la vie d’un projet, se lancent dans une aventure professionnelle sans réfléchir préalablement, et en cours de route, à leur identité. Cette identité peut être approchée par les questions suivantes.
Quel est le sens de notre travail comme équipe, notre valeur ajoutée, ce pourquoi nous investissons collectivement ?
Quelles sont les valeurs que nous mettons en avant ?
Comment traduisons-nous ces valeurs dans nos comportements comme membres de l’équipe ?
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Lors d’un travail sur l’approfondissement de son fonctionnement, mené dans le comité de direction d’une Direction générale du Service Public de Wallonie – à l’époque, la Direction générale opérationnelle des pouvoirs locaux, de l’action sociale et de la santé –, très vite après sa constitution, celui-ci a finalement défini une charte contenant ses valeurs de référence et les comportements permettant d’observer si ces valeurs étaient pratiquées au cours de leurs réunions. A la fin de chaque réunion, un questionnaire était distribué dans lequel chacun répondait si ces comportements ont été ou non appliqués pendant la réunion. S’ensuivait ensuite une discussion sur les résultats.
Ces cinq valeurs étaient :
- Solidarité et défense de l’intérêt commun: si un membre se trouve en difficulté, nous lui proposons notre aide.
- Confiance et respect mutuel: nous acceptons que ce qui est facile pour certains, est difficile pour d’autres.
- Liberté d’expression: quand nous écoutons un avis différent du nôtre, nous regardons d’abord les points sur lesquels nous sommes d’accord.
- Clarté et simplicité: nos décisions sont précises et logiques, nous en expliquons le sens et les raisons sans préjugés et avec le plus d’objectivité possible.
- Etre force de proposition: nous ne critiquons pas les idées des autres avant de les avoir bien comprises.
A travers cet exemple, on perçoit bien que la réussite d’une équipe est loin de dépendre de la seule expertise technique de ses membres.
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Que voulons-nous montrer aux autres comme équipe ? Si on demande à des personnes à l’extérieur de l’équipe de répondre à cette question, quel feed-back recevons-nous et ce feed-back correspond-il à ce que nous avons dégagé entre nous comme identité ?
Comment allons-nous structurer notre travail comme équipe pour concrétiser ce qui est attendu de nous ?
Des travaux de Patrick Lencioni sur les différentes frustrations d’un travail d’équipe, on peut dégager des vecteurs qui caractérisent l’identité : la nécessité de définir des buts propres à l’équipe, chaque membre du groupe se sent responsable devant les autres d’apporter sa contribution à l’équipe, chaque membre du groupe s’engage réellement derrière toutes les décisions prises, l’équipe travaille activement pour sortir des conflits, chaque membre de l’équipe a confiance dans les autres.
Dans leur livre, Laurence Aubourg et Olivier Lecointre (p.92) ont défini deux indicateurs qualitatifs permettant de mesurer la « performance » de l’équipe : l’indicateur moral de l’équipe et l’indicateur efficacité-sérénité-motivation. Ceux-ci peuvent se mesurer à travers un simple tableau que chaque membre de l’équipe remplit. Ceci permet ensuite une discussion au sein du groupe à partir des réponses données. On peut comprendre à nouveau que la valeur de confiance a toute son importance.
Les accords toltèques apportent un élément complémentaire à cette réflexion qui constitue un outil utile dans la construction de l’identité du groupe. Ces accords, popularisés par Don Miguel Ruiz (1999), et hérités de la société toltèque, qui s’est développée dans le sud du Mexique entre 900 et 1200 de notre ère, s’énoncent ainsi.
« Que votre parole soit impeccable ». Premier accord toltèque. Cet accord signifie qu’elle soit réfléchie pour ne pas être blessante, qu’elle exprime des faits ou soit le reflet de vos sentiments du moment, qu’elle ne soit pas accusatrice.
« Quoi qu’il arrive, n’en faites pas une affaire personnelle ». Deuxième accord toltèque. Cet accord traduit le fait que la parole de l’autre est la conséquence de son histoire et non de la vôtre, de ses priorités et non des vôtres, de ses sentiments et non des vôtres. Il signifie donc que ce n’est pas votre personne qui est en cause.
« Ne faites pas de supposition ». Troisième accord toltèque. Cet accord signifie que faire des hypothèses sur les raisons de l’action ou de la parole de l’autre est inutile. Seul un dialogue avec lui permettra de faire émerger la vraie raison si la relation de confiance entre vous existe.
« Faites toujours de votre mieux ». Quatrième accord toltèque. Cet accord signifie que vous n’êtes pas responsable de tout ce qui peut arriver parce que la réalité est complexe, comme le sont les interactions entre les personnes, ce qui peut conduire à une situation éloignée des buts que vous vous êtes fixés. Faire de son mieux dans la situation présente est déjà un défi.
Un cinquième accord toltèque a été ajouté par Don Miguel Ruiz après son premier livre: « Soyez sceptique et apprenez à écouter». Cet accord signifie que le doute permettra de mieux approcher la vérité. Mais le doute s’accompagne de l’indispensable écoute à la découverte de la vérité dans le monde complexe qui est le nôtre.
Le concept d’accord est intéressant car il implique ici aussi que le groupe se mette d’accord sur un certain nombre d’attitudes ou de comportements constitutifs de son identité. Ces accords font donc l’objet de discussions en son sein lorsqu’ils ne sont pas respectés par certains membres. Cette discussion accroît le degré de maturité du groupe et la confiance entre ses membres.
Nous concluons en citant la philosophe américaine Judith Butler (L’Obs, n° 2718 du 8 décembre 2016) : « Si je dois mener une vie bonne, ce sera une vie vécue avec d’autres, une vie qui ne peut pas être une vie sans les autres ; je ne perdrai pas ce que je suis : celui que je suis sera transformé par mes connexions avec les autres, car ma dépendance à l’égard d’autrui et le fait que d’autres dépendent de moi sont nécessaires pour vivre et pour vivre bien ».
Elle met notamment en évidence la force engendrée par le fait de se rassembler, comme les indignés ou les gilets jaunes en Europe occidentale, les opposants au régime en Egypte et en Tunisie ou l’occupation de Wall Street en réaction aux politiques menées aux USA. Le fait de manifester ensemble est plus signifiant que la somme des discours et des engagements personnels : il s’y crée une énergie qui rend le groupe à la fois plus signifiant et plus performant – dans le sens anglo-saxon d’accomplir, de réaliser une action visible et efficace –. Elle insiste sur la valeur ajoutée du regroupement physique par rapport à un simple alignement des individus : le groupe est plus que la somme de tous ses membres. La force des relations, des interactions peut stimuler notre propre action individuelle et la manière de nous impliquer par rapport aux autres.
Ces réflexions amènent à reconnaître les conséquences positives d’une construction collective. Le travail mené au sein d’un groupe pour construire et faire vivre son identité crée de la sorte une dynamique d’enrichissement réciproque valorisant la complémentarité.
Dans le chapitre sur la pratique du changement dans le développement personnel (partie 7), l’apport d’un modèle de personnalité permettra aussi d’enrichir ce qui fonde l’identité du groupe.