La rupture des valeurs
Encore parler des valeurs ! Et pourtant, c’est la rupture du consensus autour de celles-ci qui provoque le malaise dans nos sociétés et nos entreprises.
L’extrait de ce mois est tiré d’un autre livre d’Anselm Grün, « Management et accompagnement spirituel ».
« Depuis Platon, la philosophie grecque n’a cessé de se référer à quatre valeurs fondamentales : la justice, la force, la tempérance et la prudence. En grec, on appelle la valeur « arétè », ce qui signifie aptitude et énergie. Le latin traduit ce terme par « virtus ». Ce sont des sources de vitalité qui confèrent à l’être humain une force et une énergie intérieure. Elles sont des sources où puiser sans crainte de les épuiser jamais.
En allemand, on parle de Tugend : ce mot vient de « taugen », convenir, être apte. En anglais, ces énergies sont désignées sous le terme de « values », qui vient du latin « valere », ce qui veut dire aussi « être fort », « être en bonne santé ». Elles constituent une condition grâce à laquelle l’homme est à même de vivre en bonne santé.
Les valeurs rendent aussi une entreprise saine et lui confèrent à la longue de l’énergie. L’entreprise qui sait estimer les valeurs en retirera aussi des gains financiers. Tandis que loucher sur des succès à court terme entraîne de fait la ruine de l’entreprise.
En philosophie, on a beaucoup réfléchi aux valeurs, à commencer par la philosophie grecque (comme on l’a déjà mentionné) et jusqu’à notre époque. Friedrich Nietzsche pense que c’est l’homme qui donne de la valeur aux choses. De par sa nature même, l’homme est celui qui confère de la valeur. Au début du XXe siècle, Max Scheler a développé longuement sa propre éthique des valeurs. Selon lui, les valeurs ne sont pas « les propriétés des choses, mais des phénomènes sensibles ». Selon Max Scheler, les valeurs ont une existence en soi et ne dépendent pas des estimations humaines. Scheler a une hiérarchie des valeurs : en haut de l’échelle, il place les valeurs personnelles et tout en bas, les valeurs matérielles et les valeurs marchandes.
Max Scheler affirme que les valeurs ne peuvent disparaître, pas plus qu’elles ne peuvent changer. Quand, de nos jours, on parle de la mutation des valeurs, on pense que nos contemporains ont une autre relation aux valeurs et qu’ils ont un autre regard sur la portée des valeurs. Aujourd’hui, les hommes vivent toujours en référence aux valeurs. On dit que les valeurs de devoir – comme la discipline, l’obéissance, l’application et l’accomplissement du devoir – sont de moins en moins honorées, tandis que la réalisation de soi-même et les valeurs d’engagement – comme l’émancipation, la participation, l’égalité de traitement, l’autonomie, la créativité, la spontanéité, l’affectivité et la liberté individuelle – apparaissent au premier plan.
En théologie morale, on parle avant tout de valeurs éthiques et on entend par là, les finalités auxquelles se réfèrent les hommes dans leur pensée et leur action. Ces valeurs concernent le comportement des personnes (comme la justice, la fidélité, la convivialité, la tolérance) et elles nous indiquent les conditions de l’épanouissement de la vie (liberté et vitalité). La théologie emprunte ses valeurs à la philosophie grecque en les complétant par des valeurs d’essence chrétienne : foi, espérance, charité, laquelle se traduit par la disponibilité, l’entraide, la solidarité et la sollicitude vis-à-vis des faibles et des malades.»