L’observation dans une démarche de management est la détection des signaux de l’environnement, et en particulier la détection des signaux faibles. Les signaux faibles sont les signaux à peine audibles mais qui sont susceptibles d’avoir un impact important dans l’avenir. Cette détection des signaux faibles n’est assurément pas chose facile. A titre d’exemple : en 1954 les laboratoires Bell construisaient le premier panneau solaire. Peu auraient pu imaginer à l’époque que cette première fabrication allait révolutionner un demi-siècle plus tard le secteur énergétique.
On mesure donc que faire l’exercice de détection des signaux faibles actuels n’est pas chose aisé. Mais ce n’est certainement pas impossible pour celui qui sait observer. Ainsi, en 2011, le Chef de la chirurgie de l’hôpital universitaire Bichat à Paris décidait de former son personnel à la médecine de guerre. Cette décision s’est avérée cruciale lors des attentats de Paris du 13 novembre 2015. Lorsqu’on lui a demandé le pourquoi de sa décision, il a expliqué que c’est le massacre en Norvège en 2011, commis par Anders Breivik, qui l’avait éclairé. Dans ce cas, c’est l’intuition d’une personne qui a permis le développement d’un programme.
Quel contraste avec cette récente décision de l’académie de police de Jurbise qui vient seulement de lancer l’enseignement des bons réflexes d’intervention face à un tueur de masse. Malheureusement, leur référence n’a pas été la tuerie en Norvège, mais bien celle de Liège le 29 mai 2018 où deux policières et un passant perdirent la vie.
Autre exemple : le vendredi 16 février 2018, De Morgen révélait l’existence de pratiques choquantes dans le monde hospitalier. Selon le quotidien, l’hôpital universitaire de Louvain a envoyé une lettre à l’un de ses patients, lui indiquant qu’il bénéficierait de meilleurs soins s’il optait pour une chambre individuelle, plus chère qu’une chambre double. La lettre explique que : « Pour les patients en chambre individuelle, on garantit que l’intervention sera entièrement réalisée par le professeur lui-même. Pour les patients en chambre de plusieurs personnes, par contre, certaines parties de l’intervention pourront être réalisées de manière qualitative par un collègue du membre du corps enseignant, un assistant en formation ou un ophtalmologue consultant- sous la supervision du membre du staff ». Le fait que la ministre fédérale de la santé se soit élevée contre une telle pratique ne m’empêche pas de penser que c’est un signal faible qui risque à l’avenir d’être structurant dans la domaine de la santé. RDV dans dix ans !
La détection d’un signal faible constitue donc un aspect important du management, à savoir, l’anticipation, comme l’extrait du mois d’août XXXXXX l’a bien montré.
La clé de la capacité d’anticiper est donc la détection des signaux de l’environnement, qu’ils soient faibles ou non. L’environnement est défini ici dans son sens sociétal le plus étroit, ce que j’appelle le bassin de vie de l’entreprise, ou dans son sens le plus large, la société en général – dont fait partie la nature –. Dans la nature, les signaux de la dégradation sont bien visibles, et ils ne sont pas faibles ! –
Cette capacité d’anticiper demande une attention de toute l’entreprise et non seulement des responsables. La raison en est simple : beaucoup des membres de l’entreprise sont en contact régulier avec des institutions et des personnes : les clients, les patients, les parties prenantes, les institutions politiques et administratives. Le responsable d’une administration publique m’expliquait qu’il était important d’envoyer un membre de son personnel à toutes les réunions avec les institutions européennes et de multiplier avec celles-ci des contacts informels pour percevoir très tôt les priorités de financement. Ceci lui a permis de préparer bien à temps des dossiers de financement. On voit bien ici que le prolongement managérial de l’anticipation est la création au sein de l’entreprise d’un système sensoriel qui lui permet de capter les signaux utiles, de les analyser et de les traduire dans la sphère managériale décisionnelle.
Faire l’analyse de ce système sensoriel pour en détecter les insuffisances, y remédier afin d’alimenter le processus décisionnel est donc un enjeu managérial majeur qui va permettre de se positionner très tôt vis-à-vis des évolutions de l’environnement et de se créer ainsi un avantage vis-à-vis d’autres entreprises et institutions comparables.
Un système sensoriel efficace a aussi un impact sur le terrain de la qualité. Que disent les clients, les patients quant à la qualité des produits, des services, des prestations ? La connaissance de leurs besoins, leur appréciation, leur analyse, permettent d’entretenir le cycle de la qualité, mais aussi d’entrevoir des offres nouvelles plus adaptées. Dans un hôpital de la région, c’est cette connaissance qui a conduit à créer un espace bien-être pour les patients du département d’oncologie.
Il est cependant nécessaire d’être conscient qu’il y a toujours une part d’ombre dans la culture d’entreprise qui peut empêcher de voir certains signaux et d’en faire une opportunité pour le développement. Un des exemples significatifs est celui de Kodak : depuis sa création en 1880 et jusque dans les années 90, Kodak a régné sur la photographie. Pourtant, focalisé sur son expérience majeure dans la chimie des produits photographiques et conscient de sa force sur ce terrain, Kodak a raté le tournant du numérique : tout ce qui touchait à l’électronique était perçu en interne comme du gadget ….. On a vu les conséquences de cet aveuglement.
Du beau travail Michel! Bravo
Je suis en gestation d’un bouquin sur le croisement du développement socio-émotionnel et du développement cognitif croisés avec la personnalité…
Et je ne lâche pas prise!
Merci Jean et belles réflexions pour ton livre.