« Le chemin des choses proches a de tout temps été pour l’homme le chemin le plus long et le plus difficile ».
Il n’y a pas de meilleure introduction à cet article que celle du philosophe Martin Heidegger pour illustrer l’enjeu de l’observation des choses qui nous sont proches, dès lors que notre esprit vagabonde constamment et « reconstruit » le réel à notre façon. Il rejoint en cela les réflexions du philosophe Clément Rousset pour qui les pensées éloignent de l’instant.
L’émoussement de notre sens de l’observation me paraît patent. Je l’attribue personnellement à une modification radicale de notre rapport à la nature. Cette modification est due en grande partie à deux phénomènes. En premier lieu, l’urbanisation des sociétés humaines : 55 % de la population mondiale vit aujourd’hui dans des villes et ce mouvement n’est pas près de s’arrêter : un récent rapport de l’ONU indique que ce pourcentage sera de 68 % en 2050. Cette urbanisation crée une distance avec la nature qui va en croissant et qui freine notre juste appréciation des changements qui sont en train de s’opérer. En second lieu Internet et le développement numérique : la réalité virtuelle remplace de plus en plus la réalité des choses qui nous entoure. Cela affaiblit non seulement nos rapports humains avec celles et ceux qui nous entourent- la relation se noue avec son smartphone et non avec son voisin dans le métro !-, mais aussi l’observation de la nature. J’ai toujours en mémoire ce périple en bateau touristique à la magnifique réserve de Scandola en Corse. Les multiples photos prises et les textos envoyés par de nombreux touristes créent une distance avec la réalité et empêchent de s’imprégner pleinement de cette réalité pour vraiment ressentir nos émotions à travers tous nos sens.
Nicolas Hulot déclarait récemment lors d’un récent discours annonçant un plan pour la biodiversité en France qu’il est nécessaire de favoriser le retour à la nature dans un monde où le virtuel s’est substitué au réel.
Et pourtant, comme le souligne cet article, l’environnement naturel est essentiel à notre bien-être physique et psychique : https://www.nouvelobs.com/planete/20180507.OBS6293/pourquoi-la-nature-nous-fait-du-bien.html
Je l’expliquais déjà, en septembre 2017, dans un autre article sur la démarche, car c’est bien d’une démarche de vie qu’il s’agit, d’écriture des haïkus :
https://micheldamar.wordpress.com/2017/09/01/la-creativite-dans-le-leadership-et-lecriture/
Nous vivons d’ailleurs en plein paradoxe : jamais nous n’avons eu sous nos yeux autant d’images – et c’est bien d’images virtuelles qu’il s’agit -, mais elles ne s’inscrivent pas en nous. Sauf celles qui provoquent un choc émotionnel majeur : comme l’image de cette petite fille grièvement brûlée fuyant les bombes de napalm à Trang Bang au Vietnam le 8 juin 1972.
Cette absence de cristallisation en nous de la réalité est aussi liée au temps de l’observation. Hulsius, cet écrivain du XVI siècle, définissait observer « par regarder avec une attention suivie ». Sans temps d’observation, pas d’imprégnation personnelle, donc pas de choc potentiellement facteur de changement.
C’est cette observation, dégagée de toute attente qui limiterait la perception, avec un regard toujours renouvelé, dégagé des imprégnations du passé, qui nous donne l’opportunité de percer notre filtre personnel et ne faire qu’un avec le réel. En d’autres termes, pratiquer le temps d’observer permet de faire le vide en soi.
« Les nuages bleus de cette planète humide
obstruent
ma vision du vide bleu »
écrivait Jack Kerouac, ce grand écrivain américain du XIX siècle, et auteur de nombreux haïkus.
Plus fondamentalement encore, faire un avec la nature, comme le souligne la dernière encyclique du pape François, c’est entrer progressivement dans une attitude de non-domination, de non-exploitation ; tout le contraire du paradigme technocratique qui imbibe le capitalisme actuel.
Je vous souhaite d’aiguiser intensément votre sens de l’observation durant cette période estivale !
Observer la nature, c’est aussi se rendre compte que nous en faisons intégralement partie, ce que beaucoup ont oublié. Le regard porté par beaucoup est devenu un regard extérieur rapide et non affectif ce qui fausse complètement la relation au spirituel de la nature. Comment nous fondre à nouveau dans ce qui est l’essence même de la vie?