Je n’ai pas pu m’empêcher de conserver et de réfléchir sur une brochure déposée dans ma boîte aux lettres, venant d’un grand constructeur automobile. Les phrases suivantes sont illustrées de photos avec les caractéristiques des véhicules, dont évidemment leurs prix.
« Chaque seconde compte (c’est le premier titre de la brochure, avec un message ambigu comme le sous-titre souligne la nécessité de ne pas perdre une seconde pour découvrir les nouveaux modèles !)
Chaque milliseconde compte
Chaque frisson compte
Chaque kilomètre de plaisir compte
Chaque rêve compte
Chaque défi compte
Chaque innovation compte (hybride et électrique)
Chaque première mondiale compte
Chaque terrain compte
Chaque performance compte
Chaque détail compte (plus de sécurité avec les roues hiver)
Chaque kilomètre sans souci compte (avec les formules d’assurance) ».
A travers ces quelques phrases, la voiture est présentée comme le réceptacle de nos rêves et symbolise le plaisir à mener la course contre le temps et donc à vaincre de nouveaux défis – de vitesse s’entend –, grâce à des performances accrues et cela en toute sécurité car rien n’a été laissé au hasard : chaque détail compte. La mondialisation n’est pas oubliée dans le message, comme un point fort du positionnement de l’entreprise – sous-entendu, le véhicule peut se vendre n’importe où car nous sommes présents sur tous les marchés, il présente donc un caractère universel –. Grâce à la voiture, vous pourrez vous rentre n’importe où, frisson garanti !
En d’autres termes, vous pourrez vous mouvoir dans un espace-temps sans limite !
On retrouve ici tous les concepts clés qui fondent le capitalisme actuel et qui vise à assurer son attractivité : innovation, performance, rapidité, sécurité, diversification.
Pas étonnant qu’avec de tels messages, ce constructeur soit dans le top des sociétés attractives pour les jeunes diplômés des filières commerce/management et ingénierie.
Même si à certains endroits de la brochure, il est fait mention des fourchettes de consommation au kilomètre et d’émissions de CO2, il n’est fait aucune mention de la sécurité des passagers – à une exception près – et des autres usagers de la route, de la durabilité du véhicule, du respect de l’environnement et de sa responsabilité sociétale comme objectifs.
C’est d’autant plus dommage que le constructeur « s’impose à nouveau comme le constructeur automobile le plus performant au monde », ajoutant que le groupe est membre depuis 2001 du Programme des Nations Unies pour l’environnement et qu’il « a réduit de 40 % ses émissions de CO2 de ses nouveaux modèles vendus en Europe entre 1995 et 2015. Avec, à la clé, un taux moyen de rejet de 127 g en Europe, 147 g dans le monde». Ce résultat a été permis « par sa gamme électrifiée composée de sept modèles. Côté production, le groupe promeut l’utilisation des énergies renouvelables avec 58 % de l’électricité achetée issue de sources renouvelables et privilégie des camions électriques de 40 tonnes pour le transport de matériaux sur le réseau routier public. » (Source RSE magazine).
Il a en outre lancé un fonds d’investissement pour la mobilité durable
A cela je ne vois qu’une seule raison : l’appréciation du constructeur que le client potentiel est a priori moins intéressé de voir développer ces concepts dans une brochure dont le but premier est de vanter les différents modèles pour booster les ventes.
C’est d’autant plus dommageable que le changement des comportements individuels est LA clé pour aboutir à atténuer les effets du réchauffement climatique. Dans cette lutte où le monde des humains est actuellement très loin d’être gagnant, la communication vraie de tous les constructeurs et plus largement de toute entreprise devrait être un objectif majeur dans toute publicité sur les produits et pas uniquement sur leur site internet ou dans des revues spécialisées.
Une autre réflexion : pourquoi la vitesse est-elle mise en avant alors que toutes les études montrent qu’un accroissement négatif entraîne une augmentation du nombre de morts et de blessés sur les routes et qu’en plus, dans les conditions actuelles de mobilité, la vitesse moyenne de tout véhicule est largement inférieure à ce que peux offrir la puissance de nombreux modèles ; sans compter, la consommation supérieure et donc la pollution atmosphérique. Ici aussi je ne vois qu’une seule raison : cet accent mis sur la vitesse ne fait qu’épouser le rapport au temps quasi maladif dans nos sociétés occidentales.
Alors que beaucoup de civilisations ou de groupes sociaux ont pratiqué et pratiquent encore la lenteur, alors que les éléments naturels ont un processus lent d’évolution – hors les phénomènes climatiques extrêmes –, nous pratiquons au quotidien l’éloge de la vitesse.
Alors que nous nous rendons compte que chaque seconde nous rapproche d’un changement climatique majeur aux conséquences incalculables, nous y allons malgré tout.
Pourquoi ? Et pour combien de temps encore ?