L’extrait du mois – janvier 2017

L’extrait de ce mois poursuit l’exploration de la confiance, cette fois dans le groupe.

Dans son livre « La cohésion des équipes », Pierre Cauvin reprend la description de l’évolution naturelle d’un groupe,  développée par Jean-Paul Sartre dans la « Critique de la raison dialectique ». Le groupe est défini à partir de son projet et de sa pratique, pour trouver son mode d’être et d’agir qui lui permet au mieux de réaliser ses objectifs ou en d’autres termes d’apporter la valeur ajoutée la plus grande.

« Six étapes sont identifiées dans l’évolution du groupe : le rassemblement, le passage au groupe, le groupe en fusion, le maintien, l’organisation, le groupe institution.

Le rassemblement.

Il s’agit du regroupement d’individus qui ont le même but en commun, mais qui n’ont pas à proprement parler un intérêt commun. La file d’attente à l’arrêt de l’autobus en est un bon exemple : chacun a bien le même but que son voisin, prendre le bus pour se déplacer, mais il n’y a aucune interaction. Il s’agit d’une masse anonyme, composée de numéros ; une série de personnes, pas encore un vrai groupe.

Le passage au groupe.

Trois conditions sont nécessaires :

  • L’intérêt en commun devient un intérêt commun : les individus partagent l’objectif, le but.
  • Les communications, indirectes au stade du rassemblement, deviennent directes : on échange, les relations interpersonnelles naissent.
  • Un groupe ou une force antagoniste viennent conforter le groupe dans son originalité et le forcent à se constituer.

Une expérience vécue sur le thème du bus évoqué par Sartre. Un jour de semaine à midi, sur une ligne de bus vers la banlieue ; le chauffeur se trompe d’itinéraire (= force antagoniste). Les passagers, jusqu’alors plongés dans leurs lectures ou leurs pensées relèvent la tête, s’interrogent du regard. Aucun mot n’est encore prononcé. Très rapidement, le bus se trouve coincé dans un lacis de ruelles ; le chauffeur se retourne et avoue que, novice sur la ligne, il est perdu. En quelques instants, tout le monde se met à parler (= communication directes). L’un des voyageurs descend pour aider le chauffeur à manœuvrer (= but commun). Le bus reparti, les conversations continuent ; à chaque arrêt, les passagers saluent avec une certaine effusion, comme de vieilles connaissances, ceux qui descendent.

Le groupe en fusion.

C’est le stade du groupe naissant, chaleureux (les passagers de notre bus se mettent à parler entre eux). Il est marqué par trois expériences :

  • La solidarité entre les membres.
  • L’appartenance à une réalité nouvelle.
  • La régulation des membres les uns par rapport aux autres.

Sartre parle ici de « raison constituante ».

Le maintien du groupe.

La raison constituante fait place à la raison constituée ; le groupe oscille entre deux tendances :

  • Le pouvoir créateur, la dynamique qui lui ont donné naissance.
  • L’inertie du rassemblement qui fut son premier stade.

Pour survivre et poursuivre son développement, le groupe peut suivre deux grandes stratégies, qui ne sont d’ailleurs pas incompatibles :

  • La chasse au traître : réel ou supposé, le traître sert de bouc émissaire contre lequel se ligue le reste du groupe. Le groupe n’est pas mauvais, c’est un de ses membres qui l’est.
  • L’édiction de règles et de normes : on passe alors normalement à l’étape suivante.

L’organisation.

Le groupe s’organise :

  • Il se dote d’une structure.
  • Il définit des tâches, articulées aux objectifs généraux.
  • Il répartit ces tâches entre les membres.

A ce stade, dit Sartre, la praxis du groupe est d’effectuer sans cesse sa propre réorganisation.

Le groupe institution.

L’organisation se fige, la bureaucratisation apparaît. Ce stade risque d’être celui de la dégénérescence si la dynamique n’est pas relancée, sous la pression de contraintes extérieures ou par volonté endogène de réorganisation ».

Il poursuit en citant la confiance comme « Une condition d’existence du groupe. S’il n’y a pas confiance entre les membres d’un groupe, celui-ci n’est qu’une collection d’individus, ayant éventuellement un but en commun, mais certainement pas un but commun. La question de la confiance dans le groupe apparaît clairement quand il s’agit de définir les intérêts communs et de savoir ce que fera chaque membre d’un groupe quand les intérêts divergeront. Autrement dit, jusqu’à quel point les membres du groupe peuvent-ils se faire confiance pour que les intérêts communs passent avant les intérêts propres ?

Deux attitudes sont possibles en cas de divergence d’intérêt :

  • La négation, le refus : le problème est enfermé dans un placard « on n’en parle pas ». Solution qui a son intérêt à court terme, mais provoque en général une catastrophe à long terme.
  • La confrontation : nous avons un problème, comment le résoudre ?

Dans l’hypothèse de la confrontation, trois stratégies sont ici possibles.

La lutte : que le plus fort l’emporte. Il est bien évident que si les membres d’un groupe utilisent cette stratégie les uns par rapport aux autres, il ne peut y avoir réellement de groupe. Mais cette évidence n’est pas si facile à concrétiser, car les systèmes de l’entreprise ne sont pas toujours, tant s’en faut, en accord avec ce que demande l’esprit d’équipe. L’exemple le plus patent en est le système de récompense (salaires, primes, promotions), plus souvent orienté vers l’individu que vers le groupe. Il faut voir là un des principaux obstacles au team building : les participants au séminaire sont bien convaincus de l’importance du travail en équipe, mais toute leur expérience est là pour les convaincre que ce n’est pas cela qui fera leur carrière.

La négociation : chacun a besoin de l’autre et la lutte serait trop coûteuse, ou trop incertaine, ou tout simplement jugée « immorale ». Dans ce cas, on procède à des échanges relativement équilibrés, du style « donnant-donnant ». La négociation est la stratégie de base dans un groupe qui démarre. Elle implique :

  • L’existence d’une zone d’intérêts communs.
  • Un relatif équilibre dans le besoin que chacun a de l’autre pour atteindre l’objectif.
  • Une certaine confiance, assurée par des garanties.

La coopération : son principe est aussi celui d’un échange entre deux personnes pour atteindre un but commun. Mais, à la différence de la négociation, la notion de « donnant-donnant » ne se joue pas à court terme, mais à long terme. Et surtout, il n’est plus besoin de garanties ; la confiance, établie sur une relation réussie, est suffisamment forte pour s’en dispenser ».

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