Lors de mon dernier séjour en Corse, j’ai passé une nuit à l’hôtel dans le village de Piana. L’hôtel offre une vue exceptionnelle sur le golfe de Porto, un des plus beaux du monde, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco.
L’hôtel « Les roches rouges » a été construit en 1912 par la Compagnie PLM (Paris-Lyon- Méditerranée). Il a été inoccupé pendant une vingtaine d’années et réouvert il y a trente ans pour devenir ce qu’il est aujourd’hui : un hôtel au charme rétro, sans piscine et sans ascenseur, qui sent bon la belle époque, particulièrement dans la salle de restaurant.
Sa propriétaire, Maddy Dalakupeyan, est une fille de Piana qui travaillait modestement dans un hôtel à Porto. Elle n’a pu accepter que ce monument historique tourne à l’abandon. Cette femme d’exception a réussi à convaincre de la pertinence de son projet, a racheté le bâtiment et l’a patiemment transformé. Encore aujourd’hui, elle est active dans l’hôtel, dès le petit déjeuner et jusqu’à la fermeture du restaurant.
Je me suis fait la réflexion : quels ont été ses ressorts pour se lancer dans un projet aussi important alors que rien ne l’y destinait ?
J’y vois quatre points déterminants :
En premier lieu, une réaction émotionnelle forte : elle ne peut pas supporter que ce bâtiment se dégrade après le passé prestigieux qu’il a eu. Cette réaction émotionnelle est déterminante car elle constitue un puissant moteur pour l’action, mais aussi un élément clé pour susciter l’adhésion d’autres acteurs au projet. La combinaison de l’émotionnel et du mental donne plus de force à son projet.
En deuxième lieu, une volonté inébranlable de poursuivre dans le chemin qu’elle s’est tracée, malgré les difficultés qui immanquablement se présenteront. Ce chemin traduira dans le concret la vision qu’elle imagine de l’hôtel ouvert après transformation, les caractéristiques, du hall, des chambres, de la véranda pour l’apéritif, du restaurant, la manière dont l’accueil et les services vont donner un cachet particulier. En d’autres termes, une vision forte et complète sur laquelle s’appuyer, pour elle-même et pour les personnes qui rejoindront son projet.
En troisième lieu, une capacité d’initiative qui fait d’elle la cheville ouvrière du projet. La vision sans un « management de l’action » ne conduit qu’à du rêve.
Et enfin, une capacité de fédérer les énergies autour du projet.
Bien sûr, cette femme n’est pas la seule entrepreneur(e) à développer des projets d’envergure. J’en connais personnellement de nombreux autres qui ont cette volonté et ces qualités pour entreprendre.
Dans les circonstances économiques difficiles que traversent la Wallonie et d’autres régions d’Europe – et la Corse n’y échappe pas -, je me demande comment l’école- quel que soit le niveau d’enseignement- peut contribuer à faire de nos enfants et de nos adolescents des personnes volontaires et porteuses d’initiatives.
Et pour cultiver cette phrase du grand poète kazakh Abaï :
« L’homme n’a que trois mérites en lui :
Volonté, esprit clair et cœur de flamme ».
Exprimé autrement, dans la transmission du savoir, comment promouvoir la volonté et l’initiative ?
Voilà l’éclairage que m’apporte mon ami, Joseph Pirson, à la lumière de son expérience pédagogique.
Dernièrement Bruno Schröder directeur technologique de Microsoft Belgique-Luxembourg était interrogé sur l’évolution de l’enseignement secondaire général ou qualifiant. Il estime que certaines capacités principales à acquérir dans le secondaire étaient pour les adolescents à la fois la dimension d’initiative personnelle la dimension de coopération dans des projets de groupes, notamment à travers des initiatives de groupe musical ou de troupe de théâtre :
– apprendre à se rassembler autour de projets et à créer en groupe
– apporter sa touche personnelle, ne pas craindre l’erreur mais apprendre positivement à travers essais et erreurs.
Pour lui, cette dimension d’apprentissage (certains parleront des « soft skills ») est aussi essentielle que le développement de la pensée algorithmique (apprendre à décomposer un problème, une situation de manière rationnelle).
Par rapport à la capacité d’innovation, j’ai pu observer chez des jeunes et des adultes, que l’expérience de l’enseignement comme espace protégé pouvait constituer un lieu passionnant d’expérimentation, dans le cadre d’une pédagogie par projets ou d’analyse de situations-problèmes, quelle que soit la section concernée. L’erreur n’est pas une faute, elle fait partie du processus d’apprentissage ; l’essentiel réside dans la manière dont les apprenants peuvent apprendre à mobiliser différentes capacités, recourir à des intelligences multiples (notamment à partir des capacités sensorielles) pour mettre en place des projets, créer des objets nouveaux, combiner des savoirs, qu’il s’agisse des réalités de mini-entreprises ou de réponses à certaines demandes dans l’environnement socioéconomique des écoles (objets adaptés à des handicaps, réduction de la pollution par certaines machines, expression artistique par rapport à un site local ou la rénovation d’un espace urbain…)
Cette créativité peut être stimulée si elle s’appuie sur la coopération entre diverses disciplines, qu’elles soient scientifiques, techniques, artistiques ou littéraires. Une condition essentielle de réussite d’innovation paraît bien liée à une culture précise : une identité fière, pour reprendre les propos du sociologue Claude Dubard, qui ne consiste pas en repli sur soi mais dans la reconnaissance de ce qui peut être réalisé ensemble, dans la reconnaissance des apports de chacun (« c’était difficile mais nous l’avons fait »).
Appeler tous les acteurs de nos sociétés à inscrire dans leur stratégie la promotion de la volonté d’entreprendre est la clé de la construction d’une identité forte.