Quand les autorités politiques, les conseils d’administration, les dirigeants, comprendront-ils qu’en faisant usage de la double contrainte, ils cassent un objectif important qu’ils affirment par ailleurs promouvoir : le bien-être des personnes, et au-delà de cet objectif l’efficacité de l’institution qui restent fondamentalement leur premier objectif ?
Selon Robert Dilts, auteur, formateur et consultant en Programmation Neuro-Linguistque (PNL), une « double contrainte » est un type spécial de conflit qui engendre une situation « non-gagnante »; c’est-à-dire une situation dans laquelle « vous êtes damné si vous le faites, et vous êtes damné si vous ne le faites pas ». La structure essentielle de la double contrainte est la suivante : Si tu ne fais pas A, tu ne (ne seras pas en sécurité, ne sera pas valorisé, n’auras pas de plaisir, etc.) Mais si tu fais A, tu ne (ne seras pas en sécurité, ne sera pas valorisé, n’auras pas de plaisir, etc.). La situation de double contrainte est rendue encore plus aigüe par la volonté de ne pas communiquer dans le chef de son auteur.
De nombreuses doubles contraintes existent dans le cadre professionnel. On peut même affirmer qu’elles se sont intensifiées ces dernières années sous l’effet d’une concurrence effrenée sur les marchés, sous l’effet de la pression des actionnaires pour obtenir le maximum de profit à court terme et sous les contraintes budgétaires des autorités qui n’entendent toutefois pas sacrifier à la réalisation des objectifs politiques qu’ils voient comme la base pour leur réelection.
Voici deux exemples significatifs de la double contrainte.
Récemment, j’apprenais la démission de Jacques Rapoport, président de la SNCF Réseau, que j’ai connu dans une vie professionnelle antérieure. La SNCF Réseau est l’entreprise publique chargée de la gestion et de la maintenance du réseau ferré de France. Cette démission paraît être due aux injonctions contradictoires de l’Etat français demandant à la fois à l’entreprise de réduire sa dette et de financer une nouvelle liaison TGV sans verser les fonds nécessaires.
Dans le domaine hospitalier, la problématique des infections peut être aussi vue sous l’angle de la double contrainte : nous savons bien, maintenant, qu’à trop désinfecter (ce qui est légitime), nous avons participé à créer des populations de micro-organismes de plus en plus résistants contre lesquels il nous faut lutter aujourd’hui. Mais nous n’avons pour l’instant pas d’autre moyen crédible et efficace que de continuer à désinfecter à tour de bras.
• Si nous ne le faisions pas, ce serait une catastrophe immédiate.
• Et en continuant à le faire, nous repoussons le problème un peu plus loin et continuons sur cette erreur qui va encore renforcer la résistance des micro-organismes.
La personne qui est confrontée à de telles situations n’a pas beaucoup d’alternatives : soit elle estime en conscience que cette situation est impossible à gérer et elle démissionne ; soit, comme la démission n’est pas toujours possible compte tenu de sa situation personnelle, elle s’accroche, fait ce qu’elle peut dans ce contexte pour limiter les dégâts.
Si la situation perdure, elle accentue son malaise professionnel et entre dans la spirale du burn-out. Le développement accéléré des cas de burn-out s’explique par la multiplication des doubles contraintes.
Les solutions qui s’offrent à la personne ne sont pas nombreuses. C’est ce qui expliquent les démissions ou les congés – c’est-à-dire l’éloignement de la situation problématique- pour burn-out.
Parmi toutes celles qui ont été identifiées par les spécialistes, je voudrais en identifier trois en rapport direct avec l’organisation et les interactions entre les acteurs :
- Communiquer sur la contrainte avec l’autorité qui l’impose. Cette communication est importante car elle permet une prise de conscience de la réalité de celles-ci non seulement chez la personne qui la subit (grâce à la verbalisation) mais aussi chez l’autorité qui l’impose. Que tous les acteurs puissent repérer ces messages contradictoires est une nécessité. Malheureusement, cette communication n’est possible que si l’autorité en question est réceptive. Si elle ne l’est pas, cette solution s’éteint.
- Sortir du cadre. La sortie du cadre est un appel à la créativité pour trouver des solutions adaptées à cette situation dans laquelle les objectifs sont contradictoires. Appel à trouver des solutions qui n’ont pas été explorées ( par exemple en terme de financement comme cela a été le cas pour le financement du TGV en Belgique au milieu des années 1990 pour lequel des moyens publics n’existaient pas suffisamment ). Ceci implique une démarche de recherche collective de solution.
- Trouver des solutions structurelles pour empêcher que cette situation de double contrainte ne se reproduise. Dans l’exemple des infections hospitalières cité supra, la mise en place d’un plan de lutte contre les maladies nosocomiales en fonction des infections spécifiques constatées dans l’hôpital et en s’inspirant des bonnes pratiques d’autres hôpitaux, peut être une manière de développer ces solutions structurelles.
Le processus décisionnel des organes qui définissent les objectifs découlant des missions et de la vision du futur de leur institution est un aspect essentiel de la bonne gouvernance. A eux de veiller à ce que leurs décisions ne s’inscrivent pas dans la logique néfaste de la double contrainte.
Ou alors, qu’elles renoncent en conscience à faire du bien-être de leurs collaborateurs un objectif et qu’elles l’annoncent !