D’une façon générale, ce qui est commun à la psychothérapie, au management et à l’éducation, c’est de proposer un cadre pour le changement. Et ce que partagent le psychothérapeute, le manager et le parent, c’est qu’ils doivent être des accompagnateurs du changement personnel et des facilitateurs en aidant le sujet soigné, membre du personnel ou enfant à ne plus avoir peur du changement et à être capable de comprendre ce qui empêche chez eux d’avancer en ce sens.
Dans son livre, « La psychiatrie pour les nuls », Jacques Hochmann décrit les quatre attitudes psychothérapiques de base, issues des travaux de Carl Rogers, psychologue humaniste nord-américain.
Sur cette base, je me suis posé la question de savoir si ces attitudes pouvaient être appliquées dans la vie de tous les jours, marquées par nombre de rencontres professionnelles, sociales ou privées. Réflexion ouverte encore marquée du sceau de l’interrogation !
- La considération positive: le psychothérapeute fait confiance à son patient, en ses capacités pour progresser, en sa force de croissance qui peut le conduire à davantage d’autonomie et de plénitude.
Et dans la vie de tous les jours : c’est la confiance en toute personne, en sa capacité de dépasser ses difficultés professionnelle ou privée. Même si cela prend du temps ; la patience est ici au cœur de cette vision positive et humaniste. Et dans le monde professionnel du « courttermisme », ce n’est pas évident. C’est un appel aux dirigeants à sortir de la logique pure des résultats pour entrer dans une démarche de soutien de son collaborateur à travers un feed-back efficace. Dans la vie sociale ou privée, la considération positive se pose donc de la même façon. Avec la ferme conviction que c’est possible, elle amène à soutenir la personne à réfléchir à ce qu’elle n’a pas encore essayé pour passer un cap difficile : un conflit, une réactivité trop forte par rapport au comportement d’un enfant …
Commencer par penser que l’autre est capable est donc la condition sine qua non du changement. J’ajouterais que le feed-back doit se faire dans ce sens : il faut aider l’autre à faire ce dont il est capable.
- L’acceptation inconditionnelle: accepter son patient tel qu’il est, même si le psychothérapeute n’approuve pas son comportement ou sa manière de vivre. Aucune condition n’est mise à son attitude bienveillante. Tchouang-Tseu, le dernier grand taoïste de l’Antiquité n’a pas dit autre chose : « la bienveillance suprême exclut toute bienveillance partielle ». (Œuvres complètes, folio essais p. 54).
C’est le premier sens : ne pas juger l’autre pour ce qu’il est. Si on part avec des aprioris, on est sans cesse dans l’incompréhension
Et dans la vie de tous les jours : autant dans la relation d’aide, l’acceptation inconditionnelle est une nécessité absolue pour l’aide thérapeutique, la réponse est moins simple dans la vie de tous les jours.
Ainsi, dans la vie professionnelle, c’est souvent un grand problème des responsables qui ont l’attention centrée sur l’objectif à réaliser, les changements à opérer et qui vont considérer ceux qui traînent comme des paresseux ou des allergiques au changement. Cela bloque en retour toute possibilité de changement et amène à des impasses.
Le deuxième sens, c’est donc qu’il faut aider l’autre à faire ce dont il est capable et pas ce dont on voudrait qu’il soit capable (ce qui au fond se rapproche du premier sens). Ou mettre en place les conditions ou lui donner les outils pour qu’il soit capable de faire plus.
On voit cela aussi chez les parents : ils demandent à leurs enfants de faire ou de comprendre des choses dont ils sont incapables par essence et pas par mauvaise volonté, par immaturité cérébrale et pas par esprit de contradiction. C’est comme si on donnait des ordres en chinois. À partir de là, on se retrouve à nouveau dans l’incompréhension et dans l’impasse : l’enfant se voit puni ou désavoué pour des choses dont il est incapable. Quels dégâts cela peut faire ! L’enfant est déconsidéré, perd en confiance en lui, et n’écoute plus les conseils auxquels il aurait pourtant accès.
Une question qui se pose ici est de savoir si on peut accepter inconditionnellement le comportement d’une personne en rupture avec une valeur essentielle de l’organisation (le respect du collaborateur ou du client, par exemple) ? Je dirais plutôt qu’il y a nécessité à la fois :
– de comprendre le comportement – il peut y avoir des causes organisationnelles (pression des résultats, sous-effectif …) ou des causes personnelles (difficultés de vie du collaborateur à ce moment …) ;
– d’exprimer dans le feed-back l’écart existant entre le comportement constaté et le comportement attendu.
– de tirer les conséquences de ce comportement, conséquences qui peuvent aller jusqu’au licenciement en cas de rupture grave des valeurs.
Dans la vie sociale ou privée, je me demande cependant si cette acceptation inconditionnelle ne constitue pas plutôt un frein à la qualité de la relation ? Une façon de « lisser » cette relation sous le couvert de la liberté de l’autre à agir comme il l’entend. L’alternative serait de libérer notre parole dans une perspective constructive et de le « challenger » à partir de notre propre vision – expliquée à la lumière de notre expérience et du contexte tel que nous le comprenons -, et d’enrichir ainsi le dialogue. Sa liberté d’en tenir compte est évidemment totale.
- La congruence: ses deux attitudes d’acceptation inconditionnelle et de considération positive ne doivent pas être feintes, elles doivent correspondre aux sentiments authentiques éprouvés par le psychothérapeute.
Et dans la vie de tous les jours : nous avons tous pu constater l’écart qui existe lors d’une conversation entre ce que l’on pense, ce que l’on dit et la manière dont on le dit. Un regard fuyant ou un visage rougissant alors qu’on exprime qu’on est vraiment bien à l’aise ! Une moue dubitative lors d’un feed-back que l’on veut positif ! Un « oui, je serai présent » sans grande conviction alors qu’on pense le contraire. Cela étant dit avec le secret et vain espoir que cela ne soit pas visible par son interlocuteur.
Cette absence de congruence traduit une volonté de rester « à la surface » de la conversation, et donc un manque d’authenticité dans l’échange et une opportunité manquée de vraiment dialoguer.
- L’empathie: c’est la capacité de se mettre à la place de l’autre pour voir le monde tel qu’il est, sans forcément partager ses sentiments, ni se perdre dans une fusion affective avec lui. Elle se distingue de la sympathie qui est la bienveillance que l’on peut ressentir vis-à-vis de la situation vécue par l’autre. Dans le travail thérapeutique, Freud appelait cela « prêter son appareil psychique » au patient. C’est un travail éreintant. Il arrive un moment où on se met à raisonner comme l’autre, condition sine qua non pour lui montrer les voies de sortie de ses impasses psychiques.
Et dans la vie de tous les jours : la première condition de l’empathie est l’apprentissage de sa capacité à lâcher-prise avec son ego, à savoir s’abstraire de toute volonté de se mettre en avant, d’argumenter dans sa tête pour répondre en fonction de ses propres critères, de son vécu, avant d’écouter l’autre. Etre empathie, c’est s’efforcer de comprendre le monde intérieur de l’autre et le contexte dans lequel il vit. Vivre l’empathie au quotidien, c’est aussi dépasser le stade de la conversation « banale » ou, dans la formulation d’Eric Berne « que dites-vous après avoir dit bonjour ? ». Cela se joue aussi dans la conversation de tous les jours: c’est la différence entre « il fait particulièrement chaud aujourd’hui » et « comment ressens-tu cette chaleur ? ».
La qualité du dialogue est un enjeu essentiel des relations humaines. Répondre aux questions suivantes à la fin d’un dialogue permet d’apprécier la richesse de celui-ci : ai-je compris « son monde » ? Qu’ai-je pu lui apporter ? Que m’a-t-il apporté dans mon cœur, ma tête et mon corps ?
Il y a plus de difficultés de comparaison avec le travail de manager. Si on doit bien entendu se « mettre à la place » de la personne que l’on accompagne au risque de se retrouver dans les impasses des points 1 et 2, le manager a dans sa tête un autre point de vue : celui de l’organisation qu’il défend. C’est une relation à trois : l’organisation, le manager, le membre du personnel. Dans la psychothérapie, c’est juste duel : le soignant/le soigné. Il n’y a pas de point de référence autre que ceux du soigné. Peut-être pourrait-on développer l’idée d’une empathie du manager pour son employé comme tremplin à une « empathie » de l’employé vers l’organisation ? En montrant par exemple de la compréhension pour son fonctionnement, pour lui permettre de dépasser son intérêt personnel pour rejoindre celui de son organisation qui est au fond le sien en tant que membre du personnel. Une empathie dans les deux sens en quelque sorte.
Cet article sur l’application de concepts psychothérapeutiques dans la vie de tous les jours montre que ce type de réflexion faisant le pont entre des disciplines a du sens.
Un grand merci à Xavier De Longueville, directeur médical de l’Hôpital Psychiatrique du Beau Vallon d’avoir relu et enrichi mon avant-projet.
-Question: comment se rendre compte, sans sous estimer ou sur estimer,des capacités de la personne qui est en face de nous. La question vaut tant pour le cercle privé, professionnel ou associatif. C’est une tâche bien délicate que de porter un jugement ou d’émettre une évaluation et nous pouvons nous tromper complètement dans notre réflexion.
-L’acceptation inconditionnelle de l’avis ou du comportement d’une personne avec comme prétexte de laisser à chacun sa liberté bloque tout dialogue.
Je pense au contraire que l’évolution vient du dialogue et parfois de la confrontation.
Grand merci pour ce commentaire. Par rapport à la question, c’est important d’approcher les capacités de l’autre dans le dialogue et non dans la pensée et le jugement. C’est ce dialogue qui va permettre de saisir le champ des possibles et lancer progressivement l’autre dans une démarche de changement par rapport à ce qui est attendu ou demandé.
Je partage la réflexion sur l’acceptation inconditionnelle tout en soulignant que le dialogue, qui peut être confrontant, ne peut être perçu par l’autre comme une critique de son « être », mais comme l’expression d’une conviction quant à sa capacité de progresser.