Indiquer, selon le Petit Robert est, dans le domaine des arts, représenter en s’en tenant aux traits essentiels, sans s’attacher aux détails. J’aime bien cette définition car au fond, le management n’est-il pas un art, malgré toutes les méthodes de gestion qu’on s’efforce d’injecter dans cette discipline profondément humaine ?
Prolonger cette définition, c’est donc d’abord éliminer tous les indicateurs qui ne sont pas essentiels, c’est-à-dire qui crée des leurres dans l’organisation, qui donnent l’impression que leur perception est importante et doit déclencher des comportements adaptés alors que ce n’est pas le cas.
Et c’est vrai que l’indicateur est indissociable de celui qui l’a placé pour indiquer le chemin à prendre et donc une composante du management. Autant donc ne pas créer la confusion dans la direction à donner.
Les indicateurs résultent donc de deux volontés des responsables : la volonté d’indiquer là où il veut aller – c’est-à-dire ce qui concrétise la vision du futur de l’organisation – et la volonté de définir le chemin pour y arriver. Sur ce second point, il convient d’être prudent : plus le management indique le chemin pour y arriver, plus les équipes de terrain estiment que leur autonomie est atteinte et que le niveau de confiance qu’on leur accorde est faible. Fin 2014, le débat dans le secteur de l’enseignement sur l’encadrement différencié a bien illustré ce risque : créer une confusion entre l’objectif (prévenir et lutter contre le décrochage scolaire) et le chemin (contraindre les écoles à encadrement différencié de consacrer à l’avenir au moins 35% des moyens complémentaires dont elles bénéficient à l’engagement d’enseignants), c’est courir le risque de démotiver les acteurs de terrain qui ont pourtant la meilleure perception de la nature des efforts à faire pour atteindre l’objectif. D’autant plus que leur connaissance des besoins de terrain est supérieure.
On touche là à une question essentielle qui renvoie à la maturité de l’organisation: la culture du reporting à travers les indicateurs est-elle compatible avec la culture d’autonomie qu’une organisation veut développer pour motiver ses équipes ?
Je réponds oui à deux conditions :
- Que les indicateurs n’empiètent pas sur l’autonomie des acteurs de terrain si leur maturité pour exercer cette autonomie est réelle. On peut donc imaginer une décroissance dans le nombre d’indicateurs en fonction de la maturité des équipes à assumer leurs responsabilités.
- Que les indicateurs, quels qu’ils soient, fassent l’objet de discussions internes à l’organisation et aux équipes, comme éléments d’une réflexion régulière sur les difficultés qui se posent et la manière d’y répondre.
Dans cette logique, l’indicateur qui inspire est celui qui ouvre cette réflexion car la réalité est souvent bien plus complexe que la forme numérique que l’indicateur lui donne.
Là où je mets mon attention, je mets mon énergie. Dans la définition des indicateurs, les dirigeants devraient l’avoir en mémoire car ils orientent la réflexion et l’action vers les indicateurs choisis au détriment des autres.
Quelques exemples :
- Dans son livre excellent « Les stratégies absurdes », Maya Beauvallet cite l’exemple des prisons américaines dont la gestion est confiée au secteur privé. Dans leur contrat de gestion signé avec l’Etat, l’accent a été mis sur les indicateurs de coût et non sur les indicateurs de qualité, plus difficile à mesurer. Les conséquences sur le climat interne de certaines prisons ont été réelles.
- Dans le même ouvrage, l’auteur s’est penché sur les outils d’évaluation du système judiciaire en France et aux Etats-Unis et a bien mis en évidence dans les deux cas la batterie d’indicateurs qui a été retenue pour mesurer cette qualité. Elle met en garde sur le danger que les chiffres ne prennent le pouvoir et qu’un système d’indicateurs ne peut être mis au point SANS que les objectifs n’aient été définis préalablement. Exemple en matière de réduction de l’arriéré judiciaire, va-t-on privilégie la réduction de la durée moyenne de traitement des dossiers ou concentrer l’attention sur les cas extrêmes, à savoir le nombre de dossiers en attente de jugement depuis plus de X années ?
- Dans le domaine de la formation, le nombre de formations organisées n’est pas pertinent en soi car de nombreuses formations peuvent être organisées dans des domaines qui ne sont pas stratégiques pour l’organisation et les équipes. Il importe au préalable qu’elles s’inscrivent préalablement dans un plan de formation qui traduise effectivement les besoins réels.
Ces exemples illustrent bien que le choix des indicateurs n’est pas une question de gestion, mais de politique qui renvoie à l’explicitation de la vision dont j’ai parlé supra.
Dans le domaine des indicateurs, un dernier point mérite réflexion : faut-il publier ou non les indicateurs qui reflètent la performance de l’organisation ? Quelques exemples récents montrent que le secteur public va dans cette direction. Ainsi l’Agence pour l’Evaluation de la Qualité de l’Enseignement Supérieur publie sur son site -http://www.aeqes.be – tous ses rapports d’évaluation. Pour répondre à la demande récurrente de davantage de transparence, l’Agence Fédérale pour la Sécurité de la Chaîne Alimentaire –AFSCA- publie depuis juillet de cette année les résultats des inspections menées chez les opérateurs qui vendent des denrées alimentaires au consommateur final http://www.afsca.be/consommateurs/resultatsinspections/
Le mouvement est donc lancé. Dans le domaine de la santé, il serait logique que la collecte en cours d’indicateurs par les autorités publiques fasse l’objet d’une publication.
Cette démarche s’inscrit à la fois dans l’objectif de promotion de la qualité mais aussi de la transparence des activités des pouvoirs publics ou des services qui sont financés par ceux-ci.
Elle permet aussi d’entrer dans une démarche de co-évaluation avec les parties prenantes qui reste assez anecdotique dans le secteur public alors qu’il s’agit d’une composante essentielle de la bonne gouvernance. A titre exemplatif : combien de sociétés de logement social sont passées du traditionnel questionnaire de satisfaction de leurs locataires –quand elles le font- à une véritable démarche de co-évaluation des résultats de la gestion avec ces mêmes locataires ?
Tout comme la carte n’est pas le territoire ou le baromètre n’est pas la pression atmosphérique, aucun ensemble d’indicateurs ne reflètera la complexité et la diversité d’une situation. Ce ne sont que des signaux ouvrant la voie à une exploration plus fine de la réalité dans sa globalité permettant une meilleure prise de décision.