Un intéressant rapport français sur la réforme de l’action publique, rédigé par deux hauts fonctionnaires, a été publié récemment. En quoi peut-il être une source d’inspiration pour les pouvoirs publics en Belgique ?
Il existe au sein de la sphère publique en France une tradition qui n’a pas d’équivalent en Belgique, à savoir confier à une ou plusieurs personnalités issues de la sphère publique la rédaction d’un rapport sur un thème jugé stratégiquement important. Ce rapport fera ensuite l’objet d’une large discussion et le débat se conclura sur des propositions concrètes qui seront implémentées.
Cela a été le cas avec le rapport publié en avril dernier et intitulé « Quelle action publique pour demain ? Cinq objectifs, cinq leviers »
Ce type de rapport s’inscrit dans la démarche stratégique française articulée autour de quatre concepts : évaluer, anticiper, débattre, proposer.
La méthode d’élaboration est désormais rodée : combiner un travail d’experts et des débats ouverts dans le pays, associant des praticiens de l’action publique, des partenaires sociaux, des acteurs de la société civile et des observateurs.
Cette démarche mériterait d’être explorée en Belgique qui n’a pas vraiment la pratique de cette co-élaboration de rapport en vue de la décision politique. S’interroger sur le pourquoi d’une telle situation amènerait certainement à comprendre les raisons de cette culture politique assez fermée.
Dans cet article, mon objectif n’est pas de fournir un résumé exhaustif de ce rapport mais de mettre l’accent sur certains points clés qui pourraient être sources d’inspiration pour l’action publique au niveau fédéral et au niveau des entités fédérées.
Le rapport contient cinq objectifs à dix ans et cinq leviers pour agir.
Objectifs à dix ans :
- Répondre à des besoins en constante évolution
- Expliciter les priorités et leur allouer les moyens nécessaires
- Appuyer la modernisation du pays
- Rendre des comptes
- Impliquer les agents publics
Leviers pour agir :
- Sélectionner et définir les missions
- Clarifier les rôles
- Mettre les gestionnaires publics en situation de responsabilité
- Diversifier l’offre de service public
- Innover et investir pour transformer
Que nous apprennent les détails de ces différents points comme sources possibles d’inspiration ?
- Les objectifs.
- Répondre à des besoins en constante évolution.
Partir des besoins et des attentes des utilisateurs est un impératif absolu. Ceci implique pour le service public la capacité de capter ces besoins et attentes et de les intégrer dans son organisation, ses méthodes et ses structures, comme cela a été le cas au Portugal après la crise de 2008. Développer une capacité d’anticipation des besoins sociétaux constitue un vecteur d’action complémentaire. Les technologies numériques doivent servir de support systématique dans l’évolution de la relation avec l’usager (accessibilité, échange et mutualisation des données). La France a créé en 2014 un poste d’administrateur général des données, chargé de piloter l’ouverture des données publiques, notamment à partir d’un portail unique (santé, transport, environnement, énergie …).
- Expliciter les priorités et leur allouer les moyens nécessaires.
Gouverner, c’est choisir. « Dès lors que l’on fonctionne sous contraintes de ressources, l’émergence de besoins nouveaux implique que l’État sache faire évoluer ses priorités pour être présent là où il est le plus irremplaçable. Le corollaire est qu’il se désengage des fonctions pour lesquelles il est – ou est devenu – remplaçable. Cette discipline est nécessaire pour mettre fin à l’impuissance publique causée par l’empilement des missions : ne pas choisir, c’est se condamner à perdre progressivement toute capacité d’agir » (p.26). La confrontation de l’analyse de la répartition du budget par catégorie de dépenses et de la couverture budgétaire des nouveaux besoins constitue une nécessaire pour redéfinir périodiquement les priorités. Cette sélectivité peut se mesurer à travers un indicateur.
Cela implique de s’interroger régulièrement sur les missions et les priorités et de l’intégrer dans le cycle de gouvernance.
Le corollaire de cette démarche est un changement de culture dans les rapports entre le politique et l’administration, ainsi que dans les rapports entre gestionnaires publics : la création d’un cadre de travail et d’un climat de confiance qui permette l’analyse ouverte des réserves de productivité et des missions moins utiles permettant la réaffectation optimale vers les besoins nouveaux.
Cette réorientation vers les besoins nouveaux doit se faire simultanément avec une réflexion sur les modalités de mise en œuvre dans le but de faire le lien avec les moyens.
- Appuyer la modernisation du pays.
Le processus de simplification administrative et l’amélioration drastique de la qualité de la règlementation constituent des enjeux cruciaux pour la production des normes, leur mise en œuvre et la fonction de régulation. « Il faudrait instaurer une obligation systématique d’évaluer les réglementations nouvelles (de la loi aux arrêtés, car les éléments pénalisants se situent souvent au niveau de l’application) et de revoir régulièrement l’existant, pour s’assurer que les moyens mis en œuvre pour atteindre l’objectif public qui les motive sont efficaces et proportionnés ».
- Rendre des comptes
En 1789, déjà, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen précisait : « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration. »
La répartition des responsabilités doit être la plus claire et la moins éclatée possible et connue des clients des services publics pour concrétiser ce principe de « redevabilité » : répartition entre entités politiques (fédérales, fédérées, locales), répartition entre services publics, répartition entre l’organe politique et l’organe administratif.
- Impliquer les agents publics
Cela signifie : développer et valoriser la capacité d’innovation des agents publics, plutôt que de valoriser la performance qui incite à mettre l’accent sur les tâches les plus mesurables et peut conduire à des inégalités de traitement des usagers ; travailler sur l’efficacité collective des services pour éviter l’individualisation croissante des objectifs qui peut favoriser le maintien des « prés carrés » ; reconnaître les managers davantage pour leur compétence de gestion et moins pour leur expertise ; valoriser l’autonomie des managers et des administrations.
- Les leviers.
- Sélectionner et définir les missions
Il importe tout d’abord de généraliser des évaluations indépendantes en fixant dès le départ les critères qui vont être utilisés afin de pouvoir recueillir immédiatement toutes les données utiles. Les résultats de celles-ci doivent associer à la discussion plusieurs intervenants : experts, partenaires sociaux, société civile, usagers, etc. Exemple : en 2010, dans la région de Grenoble, une évaluation par les usagers du service public de tri des déchets ménagers a été mise en place. Toute évaluation devrait être faite dans un délai maximal de cinq ans après le lancement d’une mesure nouvelle.
Ensuite, il conviendrait « de mener au moins une fois tous les cinq ans un exercice de revue des missions destiné à identifier les besoins, à sélectionner les priorités et à améliorer le rapport coût-efficacité des politiques publiques ».Cette revue associerait le politique et l’administration et ne devrait pas être mené en même temps que la préparation du budget pour pouvoir être menée de manière exhaustive.
- Clarifier les rôles
Il importe de distinguer clairement les responsabilités politiques et les responsabilités managériales. Il est aussi nécessaire de distinguer les tâches de conception des tâches de mise en œuvre des politiques publiques : une division du travail et des ressources entre ces deux aspects clés de l’action publique doit pouvoir s’assurer qu’elles sont exercées de manière effective. Ceci n’implique pas nécessairement de créer systématiquement des agences, par ex sous la forme d’un OIP –organisme d’intérêt public- pour la mise en œuvre. Mais si une agence est créée, les conditions suivantes devraient être remplies :
« − Mission et cahiers des charges explicites et fonctionnels en termes de partage des
Tâches.
− Contractualisation sur la base de contrats d’objectifs et de gestion.
− Nomination des dirigeants pour une durée définie.
− Gouvernance par un conseil d’administration validant les orientations stratégiques et
contrôlant la situation de l’établissement.
− Autonomie de gestion, protégeant contre les injonctions risquant de disperser ou
détruire les incitations à la performance.
− Capacité à gérer, notamment en matière de recrutement, pour disposer des bonnes
structures de compétences.
− Instruments comptables permettant d’apprécier la situation. »
- Mettre les gestionnaires publics en situation de responsabilité
Ces éléments du rapport sont pratiqués dans notre espace public.
D’une part, généraliser les contrats d’objectif et de gestion comme levier de la modernisation. D’autre part, former les gestionnaires publics au management : « Un bon manager est avant tout un « manager de la transformation », en raison de la nécessité de s’adapter sans cesse aux nouveaux besoins des usagers. Il faut favoriser la capacité à raisonner en mode projet, l’aptitude à conduire un travail d’organisation, et la création de référentiels et d’indicateurs. ». Dans cette dynamique, les échanges d’idées et d’expériences entre dirigeants sont constitutifs de valeur ajoutée. L’évaluation à 360° de ces dirigeants devrait être généralisée.
Le management participatif et collaboratif : faire participer les collaborateurs à la réalisation des objectifs et favoriser les interactions, l’autonomie et l’engagement.
- Diversifier l’offre de service public
L’exemple donné dans le rapport, à savoir la création à Marseille d’une maison de santé dans un centre commercial – c’est l’hôpital qui se déplace vers la population dans un souci de proximité -, illustre bien ce levier d’organiser différemment la rencontre du service et du besoin pour donner corps au droit (effectif) au service public : il importe donc de réfléchir à des solutions locales de proximité adaptées aux réalités. L’organisation, par les agences de formation, de formations adaptées aux besoins des bassins d’emplois en est un deuxième exemple. Les usagers les plus fragiles doivent être au cœur de cette réflexion.
La saisine généralisée de l’administration par voie électronique, ainsi que les guichets multiservices permettent de tenir compte des spécificités géographiques pour les zones rurales moins peuplées.
Le second aspect de ce levier rejoint ce qui a déjà fait l’objet de nombreuses discussions dans la sphère publique mais qui n’est pas systématiquement implantés, à savoir les scénarios de co-construction avec les citoyens, et particulièrement la co-conception des politiques (atelier citoyen, consultation numérique, budget participatif) et la co-production des services (ex : la coproduction des certificats de nationalité à la préfecture du Rhône avec l’aide d’une association locale).
- Innover et investir pour transformer
Il serait utile de créer des réseaux d’innovation publique qui permettent l’échange d’expérience et la capitalisation à partir de ces échanges. Ces réseaux pourraient être animés par un centre d’innovation publique. Ce centre contribuerait à la diffusion des bonnes pratiques. Dans la même perspective expérimenter de nouvelles formes d’action publique pour les évaluer et les généraliser si elles s’avèrent pertinentes. En France, un cadre légal a été créé pour aller dans cette direction.
Des crédits spécifiques pour financer cette modernisation publique sont à dégager :
« instituer une « réserve interministérielle de modernisation », mécanisme de soutien aux projets d’investissements de transformation de l’action publique, permettant de réinvestir des économies de dépense dans un fonds destiné au financement d’actions de modernisation et à la prise en charge de surcoûts temporaires induits par des réformes de politiques publiques ».
Je conclus en mettant en avant quatre conditions essentielles pour moi pour la réussite de cette stratégie :
- Investir dans la détection des besoins, dans la simplification administrative à l’aide du numérique, dans la conception des politiques et dans l’évaluation externe des mesures prises
- Former les agents publics à cette stratégie
- Agir pour éviter la fracture numérique
- Dégager des crédits spécifiques pour la modernisation de l’action publique et les évaluations externes.
Ceci implique de trouver des marges de productivité qui permettent de réaliser financièrement ces conditions et de revoir les priorités de l’action publique à travers une revue des missions.
La version intégrale du rapport est disponible sur le site http://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/rapport_action_publique_bat_13042015.pdf