Beaucoup de scénarios relationnels dans la vie en société, dans la vie professionnelle ou privée sont estampillés d’un de ces trois rôles habituels : sauveur, victime ou persécuteur. Ils s’inscrivent dans le triangle dramatique décrit par Stephen Karpman, psychologue américain, spécialiste de l’analyse transactionnelle. Ces trois rôles sont symboliques, une même personne peut changer de rôle.
Comme le souligne Bernard Raquin dans son livre « Sortir du triangle dramatique », il s’agit d’un véritable système de comportements, si codifié et habituel qu’il semble naturel. Dès qu’un ou plusieurs partenaires ont opté pour un des rôles, les réactions se déclenchent automatiquement.
Exemples choisis.
Un ancien président d’un Etat s’estime victime de la justice de son pays, estimant qu’elle fait tout pour l’empêcher de revenir au pouvoir. Un parti politique se profile en victime du système et développe toute son action politique pour le dénoncer. Un président de parti stigmatise une communauté de sa région, jouant ainsi le rôle de persécuteur. Un ancien magistrat accueille une personne condamnée, libérée sous condition et engagée dans sa réinsertion, jouant le rôle de sauveur.
Les exemples sont donc nombreux. J’analyse ici les rôles et non le bien-fondé, les motivations ou les valeurs qui fondent ce rôle.
Parfois, des contre-exemples existent. Amélie Nothomb dans son roman « Ni d’Eve ni d’Adam » l’a bien décrit :
« En me promenant dans les rues de cette ville de province, je pensai que la dignité japonaise trouvait ici son illustration la plus frappante. Rien, absolument rien ne suggérait une ville martyre. Il me sembla que, dans n’importe quel autre pays, une monstruosité de cette ampleur eût été exploitée jusqu’à la lie. Le capital de victimisation, trésor national de tant de peuples, n’existait pas à Hiroshima. »
Concentrons-nous maintenant sur le triangle dramatique dans le domaine du management.
Petit dialogue illustratif à partir de mon expérience professionnelle.
Le ministre : je t’appelle au petit matin car j’ai eu connaissance d’une situation inacceptable qui concerne ton département : le fichier de la Direction d’immatriculation des véhicules (DIV) n’était plus accessible par la police. Suite à un délit de fuite qui a entraîné mort d’homme, on perd du temps dans l’identification du véhicule impliqué. Tu devras assumer les conséquences de cette situation au plan professionnel, pas moi (persécuteur).
Le président du service public fédéral mobilité et transports : je n’étais pas au courant de cette situation. Aucun responsable du service ne m’a informé. Cette réalité ne m’amuse vraiment pas (victime).
Le ministre : moi aussi, j’aurais aimé ne pas vivre cela, d’autant plus que cela s’est passé dans ma région. Je suis certain d’être interpellé par la presse locale et même au Parlement (victime). Crois-moi, je ne manquerai pas de te renvoyer la balle ! (persécuteur).
Le président : j’assumerai afin de vous éviter cette responsabilité (sauveur). Je vais immédiatement examiner ce qui s’est passé et je reviens vers vous avec toutes les informations utiles. Ensuite, je ferai adapter les procédures de travail en fonction de cette évaluation (objectivation du problème).
Le dialogue peut se poursuivre entre le président, le responsable de la DIV et les informaticiens de ce service. On imagine sans peine les rôles que les uns et les autres peuvent tenir dans ces dialogues !
Deux questions cruciales se posent donc pour le dirigeant, auxquelles Bernard Raquin, dans le même livre, apporte quelques réponses :
- Comment éviter d’entrer dans un triangle dramatique ?
- Ne parler que du problème actuel, en restant au plus près des faits, sans s’en prendre à l’identité de son interlocuteur.
- Eviter les sous-entendus.
- Reconnaître ses torts.
- Ne pas généraliser.
- Faire des suggestions à l’autre, sans offrir de solutions toute faites.
- Accuser réception de ce que l’autre dit, et en tenir compte, ou marquer son désaccord.
- Marquer son désaccord sans s‘en prendre à l’autre.
- Faire des demandes et des réponses claires.
- Comment sortir d’un triangle dramatique ?
- Le lâcher-prise.
- L’acceptation de l’autre tel qu’il est.
- Le respect.
- L’abandon de la volonté d’obtenir quelque chose par la manipulation.
- L’abandon du rapport de force.
- L’abandon de la communication pour couper radicalement le jeu de rôles.
En résumé, développer le management bienveillant.
Je voudrais faire ici une comparaison avec le secteur de la santé qui fait la différence entre le care et le cure : le cure est le traitement proprement dit ; le care est tout ce qui entoure l’acte proprement dit et est caractéristique de la « bientraitance » : c’est toute l’humanité de la personne qui prodigue les soins, sa qualité de dialogue avec le patient, l’explication qu’il donne sur les raisons, la nature et les effets possibles du traitement. Pour le dirigeant, le cure, c’est l’objectif qu’il donne et les résultats qu’il veut atteindre ; le care ; c’est toute l’attention qu’il apporte à la personne qu’il mandate et à qui il fait confiance pour atteindre les objectifs et les résultats convenus.