Aider la femme ou l’homme politique à lâcher prise

Quelle phrase curieuse que celle-là quand on sait que l’univers politique est fait de combat, de contrôle, de compétition et d’image. D’action aussi, pour transformer la société sur base d’une conception du vivre ensemble. Y parler de lâcher prise serait faire aveu de faiblesse ou d’abandon de responsabilité. Autant dire quitter la politique et se recycler dans l’élevage de moutons dans les Cévennes !

Cette phrase vient pourtant bien à son heure, juste après le scrutin électoral. Lors de la formation d’un gouvernement fédéral, je me suis rappelé la première discussion avec mon nouveau ministre de l’époque, envers lequel je n’avais pas d’affinité particulière !  Michel, m’a-t-il dit, « Je connais votre réputation. Pas question de jouer derrière mon dos. Si cela arrive, je le saurai et cela ne restera pas sans conséquence ». Je lui ai répondu : « Monsieur le Ministre, vous pouvez avoir confiance, la politique que vous déciderez sera préparée et mise en œuvre loyalement. En retour, je souhaite disposer de l’autonomie voulue par la réforme de la haute administration ». J’ai bien du constater que jamais il n’a empiété sur mes responsabilités de top manager.

Peut-être était-ce son style -ce qui n’est pas le cas de tous les ministres-, peut-être était-ce l’authenticité de ce premier contact. Ou un mix des deux.

La question de la confiance est souvent au cœur du rapport entre un ministre et un dirigeant de service public ou entre un dirigeant et son conseil d’administration.  Elle peut empoisonner leurs relations comme elle peut les consolider. Elle peut faciliter l’émergence d’une relation interdépendante par opposition à une relation de dépendance. L’image d’un chef d’armée vient à l’esprit : s’il dispose d’excellents colonels sur ses flancs et sur le centre, il va pouvoir se concentrer sur la stratégie.

La stratégie, parlons-en comme elle sera au cœur des débats politiques des prochaines semaines (mois ?). J’estime que  la haute administration n’est, de manière générale, pas  assez tenace dans l’ambition d’être un acteur de premier plan dans l’aide à la définition de la stratégie. Il est vrai que l’évolution des moyens budgétaires ne facilite pas la création de cellules chargées de réfléchir à la stratégie donc aux différents scénarii possibles dans la mise en œuvre d’un objectif politique. Or, ces cellules sont essentielles, elles sont au cœur même du rôle de l’administration, même si elles peuvent s’appuyer sur des experts extérieurs au service public.

Et ma foi, si la seule alternative est de dégager des moyens en externalisant la production de certains services -en gestion de risques, on appelle cela partager le risque-, tout en contrôlant la qualité et la quantité de services fournis par ces opérateurs externes, je privilégierais cette voie car elle est plus porteuse d’avenir. Mais je pense qu’il existe aussi des pistes internes d’amélioration de la productivité pour consacrer à la stratégie les moyens ainsi épargnés.

Le leadership de la haute administration réside ici dans sa capacité d’influencer pour que le politique aille dans cette voie -ce qui n’est pas toujours évident- et accepte de partager les fruits de cette recherche d’économies.  A nouveau ici, la confiance réciproque est au cœur de cette capacité d’influencer. Et aider le politique à mieux anticiper et gérer les risques de ses actions sur le long terme est susceptible d’engendrer la confiance.

 

Le premier pas vers cette confiance se joue dans l’immédiat après-scrutin. Les Cent-Jours commencent dès ce moment, non pas comme une reconquête du pouvoir comme Napoléon avait tenté de la faire en rentrant de son exil de l’île d’Elbe, mais comme une conquête de la confiance.

Elle signifie pour le dirigeant d’un service public de mobiliser toutes ses forces en interne pour être une force de proposition stratégique en élaborant différents scénarii avec leurs impacts positifs et négatifs. Un seul exemple tiré de mon expérience en transport : comment gérer le secteur du contrôle technique automobile dans le cadre du récent transfert de compétences vers les Régions ? Différentes options sont possibles. L’exploration des + et des – des différentes options est une tâche essentielle de l’administration. Chacun peut trouver des exemples équivalents dans son secteur.

Elle signifie pour le dirigeant d’un service public d’exprimer sa disponibilité envers tous les négociateurs politiques et de les alimenter tous à partir de l’exploration stratégique.

 

C’est aussi avec des démarches de ce type que la haute administration pourra conduire la femme ou l’homme politique à lâcher prise et à entraîner les services publics vers la voie d’un changement dans lequel sa capacité d’initiative et sa dynamique managériale sont reconnues, acceptées et pourquoi pas souhaitées.

 

Stratégie et benchlearning sont étroitement liés. Dans « Le Nouvel Observateur » de cette semaine, je lis que la région Aquitaine investit 10% de son budget dans la recherche. C’est aussi la première région de France en ce qui concerne la création d’entreprises. Sur la période 2000-2011, elle a vu sa production de brevets croître de 75% -contre 30% pour la France-. Dans le secteur de la santé, cette dynamique a permis une augmentation de l’emploi de 10% alors qu’il diminuait de 10% au niveau du pays.

Regarder ailleurs et comprendre les ressorts et les composantes d’une stratégie réussie par d’autres constitue une démarche puissante, à condition d’y consacrer le temps et les ressources nécessaires. CQFD !

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