Qu’est-ce qu’être fonctionnaire aujourd’hui?

1. Contexte

Notre société occidentale est actuellement confrontée à des crises multiples : économique, énergétique, financière et environnementale. Depuis 2008, la perception va croissant comme quoi ces crises sont structurelles et non conjoncturelles et qu’elles font l’objet d’un cycle long, sinon d’un cycle très long. L’émergence forte des économies de l’Asie, les délocalisations, le déclin de l’emploi industriel, le coût des changements climatiques demandent une approche de long terme approfondie et novatrice dans la « vieille Europe » et donc dans notre pays.

Comme en réponse à ces difficultés, de nouveaux secteurs sont en plein développement : celui de l’internet et de la numérisation, celui du transport,  des nouvelles filières industrielles dans les domaines pharmaceutique, médical, biologique, environnemental et  technologique.

Dans ce contexte difficile, dans lequel nos citoyens vivent difficilement ou douloureusement même ces mutations, les attentes des citoyens de Wallonie et de Bruxelles, à l’égard des hommes et des femmes politiques et à l’égard des fonctionnaires travaillant dans les services publics aux différentes niveaux de pouvoir, sont fortes.

Cette exigence citoyenne a commencé à se développer dans les années quatre-vingt dix et a connu un pic sociétal avec la marche blanche du 20 octobre 1996. Elle n’a fait que croître depuis, particulièrement dans ses dimensions résultats, économie de moyens, qualité des services, collaboration entre services dans un souci d’efficacité et  éthique du personnel politique et administratif.

C’est d’ailleurs à partir de cette période que le New Public Management qui s’est développé dans les années soixante-dix dans le monde anglo-saxon, a émergé en Belgique et a connu son apogée avec la réforme Copernic au début des années 2000.

En ce qui concerne particulièrement l’économie de moyens, le contexte actuel entraîne une restriction de l’emploi public après des décennies de croissance ou de stabilisation : croissante depuis les années soixante pour répondre aux multiples besoins sociétaux, stabilisation vu le poids croissante de la dette publique belge, une des plus importante de l’Union européenne – en rapport avec le Produit Intérieur Brut-.  Avec la crise financière issue du désastre immobilier aux Etats-Unis, l’heure est maintenant à la contraction de l’emploi public, ce qui renforce les impératifs d’efficience dans les services publics.

L’autorité politique elle-même est souvent prise dans la spirale du « court-termisme » bien illustrée par Jean-Louis Servan-Schreiber dans son livre «  Trop vite ! Pourquoi nous sommes prisonniers du court terme ».

Ce contexte entraîne une situation délicate pour le fonctionnaire : moins de moyens pour plus d’objectifs à atteindre de plus en plus rapidement, des priorités insuffisamment définies à l’échelon politique, des attentes citoyennes fortes.

A cela s’ajoute une lenteur dans les nominations à des postes de direction, au profit de désignations temporaires.

Enfin, la communication insuffisante des services publics sur ses réalisations et sur sa gestion n’a pas fondamentalement permis de renverser l’image de fonctionnaires jouissant d’un statut trop privilégié pour le travail qu’ils fournissent.

2. Enjeux

 Plus de vingt années de réforme dans les services publics ont développé une capacité de gestion de qualité. Il est vrai que cette capacité est encore à géométrie variable et tous les secteurs ou tous les services publics ne sont pas au même niveau. Des organisations manquent parfois de la taille critique nécessaire ou connaissent une culture et des pratiques moins axée sur la qualité de gestion.

Un premier enjeu est maintenant de capitaliser sur ces années d’expérience et d’amener l’ensemble des services publics à une véritable maturité de gestion. Cette maturité de gestion poursuit deux objectifs qui constituent les deux enjeux suivants.

Etre ouvert sur son environnement et à toutes les parties prenantes de cet environnement. Compte tenu du contexte expliqué dans la première partie, ce second enjeu a une double facette.

L’une est de positionner les différents secteurs de la vie publique en consacrant une partie des forces et des ressources à la préparation d’une politique de long terme et, dans cette perspective afin d’être une force de proposition et de soutien à l’action politique.

L’autre est de poursuivre les efforts de qualité des prestations aux citoyens et aux entreprises lorsque le service public leur délivre un bien ou un service : une subvention, une prime, une route, un jugement …

Donner la certitude à toutes les parties prenantes de la maîtrise par chaque service public de ses ressources financières, humaines et logistiques. Ce troisième enjeu vise à poursuivre les efforts d’économie et d’efficience dans le but de répondre aux difficultés financières actuelles des entités publiques fédérale, fédérées et locales et de dégager des marges permettant de répondre au second enjeu.

Enfin, le quatrième enjeu vise à créer les conditions pour faire du fonctionnaire, considéré individuellement et en équipe, à la fois un acteur de la qualité et de l’atteinte des objectifs de son service public mais aussi un acteur de l’ouverture du service public à son environnement.

3. Propositions concrètes

Ces propositions s’inscrivent dans le référentiel suivant :

référentiel

Proposition 1  Anticiper

Dans un monde en perpétuel changement, les services publics doivent développer et mettre en œuvre une capacité d’anticipation et une attention aux modifications de l’environnement, tant à long terme que par rapport aux demandes des différentes parties prenantes.

Pour le service public de demain, réussir signifie détecter rapidement ces changements, les traiter en interne et adapter en conséquence sa stratégie.

Tous les fonctionnaires en contact avec les parties prenantes ont un rôle à jouer. Le dialogue avec celles-ci est à renforcer dans cette perspective. Les services chargés de la prospective sont également concernés ; si ceux-ci sont insuffisants, il s’agira de les renforcer.

Proposition 2 Concevoir

Renforcer les services d’études et de mise au point de propositions structurelles concernant les différents secteurs en systématisant les analyses de leur impact et les conséquences sociétales et financières de ces propositions. Cette proposition est complémentaire à la première.

Les exemples sont nombreux de propositions insuffisamment étudiées – sous la pression du court terme- dont on constate après coup qu’elles n’atteignent pas les objectifs initiaux et aux coûts prévus.

Proposition 3 Réaliser

Chaque service public doit définir ses grands objectifs stratégiques, les décliner en quelques objectifs opérationnels clés servant de guide aux différents services et aux missions attribuées à chaque fonctionnaire. Ceux-ci pourront ainsi faire le lien entre leur fonction et les attentes des parties prenantes vis-à-vis de leur service public.

La clarification des processus essentiels de travail doit se généraliser, avec la participation des fonctionnaires concernés à cette clarification.

Dans le cadre d’une telle déclinaison – du global vers l’individuel-, l’évaluation individuelle des fonctionnaires fait sens.

Proposition 4 Améliorer

L’amélioration est au cœur de l’évolution de toute organisation. Les services publics et les fonctionnaires ont démontré leur capacité d’amélioration, même si leur communication à ce sujet pourrait elle-même être améliorée. Gérer l’évolution des risques dans la réalisation des objectifs, évaluer les résultats des actions, apprécier la satisfaction des parties prenantes à partir d’enquêtes de satisfactions sont des éléments clés de la dynamique d’amélioration.

La proposition est de mettre en place annuellement un dialogue constructif avec les parties prenantes de chaque service public visant à recevoir leur évaluation des prestations afin de jeter les bases des améliorations. Des enquêtes régulières de satisfaction viendront en appui de ce dialogue.

Proposition 5 Responsabiliser

Motivation et autonomie sont les deux leviers de la responsabilisation.

Donner du sens au travail des fonctionnaires, créer les conditions d’un bien-être au travail, valoriser les résultats obtenus et assurer l’adéquation des compétences avec les tâches de chacun, sont les ingrédients de la motivation.

L’autonomie, c’est passer d’un style de gestion directif pour évoluer vers un style plus participatif, plus solidaire, où chaque fonctionnaire travaille en confiance et ayant reçu en toute clarté la marge de manœuvre dans laquelle il peut travailler et s’épanouir.

Ces deux aspects doivent faire partie de la stratégie et du plan opérationnel de chaque service public.

Proposition 6 Rendre des comptes

Le complément de la responsabilisation doit être de rendre des comptes sur sa gestion.

D’un point de vue organisationnel, la généralisation des fonctions d’audit de gestion est une nécessité. Il y a encore trop de dérapages sur ce plan.

D’un point de vue individuel, chaque responsable dans un service public devrait chaque année remettre un rapport sur la manière dont il a assumé la responsabilité qui lui a été confiée et en quoi il a fait évoluer son service vers plus de maturité et vers plus d’éthique.

Proposition 7 Simplifier le service

La simplification administrative doit se poursuivre et être amplifiée : formulaires téléchargeables et pré-remplis disponibles, envoi électronique de demande avec signature électronique.

L’accès à un service papier doit être maintenu pour les personnes électroniquement démunies, avec un accueil personnalisé.

Dans une perspective plus sociétale, La formation des jeunes générations aux outils numériques interactifs doit s’amplifier.

Proposition 8 Simplifier pour plus d’efficacité

Les années d’évolution de la gestion publique ont montré que la lourdeur et la complexité sont contre-productives et constituent finalement un frein à l’adaptation aux changements de l’environnement.

Point n’est besoin de plan stratégique, ni de plan opérationnel volumineux, l’enjeu est qu’ils contiennent seulement les éléments essentiels et qu’ils puissent être adaptés rapidement.

Point n’est besoin de dizaines d’indicateurs mesurant tous azimuts l’état d’avancement des projets, le degré de réalisation des objectifs ou l’amélioration de la productivité : quelques indicateurs bien ciblés suffisent et particulièrement des indicateurs orientés utilisateurs et qualité de service et les indicateurs d’efficience.

Point n’est besoin de procédures décrites dans le plus grand détail, mais bien les étapes clés de ceux-ci, le reste étant laissé à l’autonomie des fonctionnaires.

Il s’agit ici de définir dans chaque service public quelques règles simples de fonctionnement qui assurent une plus grande efficacité des services, lèvent les entraves à cette efficacité et permettent une économie des ressources. Leur application par tous pourra être soutenue et vérifiée lors de l’évaluation des fonctionnaires.

Les axes essentiels qui démontrent une maturité plus grande de chaque service public feront l’objet d’un document de synthèse, compréhensible, publiés et donc accessible à tous (personnel et parties prenantes) et faciliteront la remise des comptes de la proposition 6.

4. Synthèse

Que chaque service public soit capable de mettre en une page sa mission, sa vision, ses valeurs, ses enjeux, ses grandes orientations et ses objectifs.

Qu’il soit capable de mettre en place une dynamique d’anticipation par rapport aux évolutions de l’environnement et aux attentes des parties prenantes, de les analyser et d’étudier de manière approfondie les propositions visant à y répondre.

Qu’il développe les règles minimales qui lui assurent une efficacité dans l’action : l’obtention de résultats dans la réalisation des objectifs, l’amélioration des performances, la responsabilisation des fonctionnaires.

Ces trois points constituent une réponse aux enjeux actuels de la fonction publique.

Cet article est paru sous ma seule responsabilité sur le site lancé en 2013 par le Parti Socialiste pour son opération de réflexion collective

http://www.citoyensengages.be/Liste-Questions-Thematique.aspx?ThID=26

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